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d’un coup sa frénésie tomba. Il regarda avec tendresse le pauvre petit roi qui demeurait assis sur le banc, horriblement pâle.

Descendu de son nuage, l’ermite, redevenu homme, paraissait un être doux et débonnaire. Il causa affectueusement, simplement, et son langage naïf, sans détours, gagna le cœur du roi.

Le Juif halluciné, victime des rigueurs exercées contre ses coreligionnaires, souvent confondus par Cranmer et Wolsey dans les prescriptions édictées contre les catholiques, était au fond une nature compatissante, écrasée sous le malheur et retrouvant, à ses heures de lucidité, ses instincts de tendresse pour les faibles et les affligés. Il souleva le banc, le rapprocha encore de l’âtre, aviva le feu, prit les pieds de l’enfant dans ses mains, les caressa comme eût fait un père, s’apitoya sur ses contusions, puis alla chercher deux bols remplis de soupe, en donna un au roi, prit l’autre, et se mit à manger, en engageant son petit convive à faire de même.

La conversation prit une tournure gaie. De temps à autre le vieux Juif déposait sa cuiller pour passer sa main dans les cheveux de l’enfant ou lui donner une petite chiquenaude sur la joue, accompagnée d’un sourire jovial. Ces démonstrations étaient si franches, si prévenantes, que le roi oublia peu à peu la terreur et la répulsion inspirées par l’archange et ne vit plus devant lui que le bon vieillard, pour qui il se prit d’un véritable attachement.

Les choses continuèrent ainsi pendant tout le repas.

Alors l’ermite s’agenouilla devant son autel improvisé et pria. Puis il conduisit l’enfant dans une petite pièce voisine, où se trouvait un lit, le coucha, le