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Alors elle parla de moulins, de tisserands, de chaudronniers, de forgerons, de gens de toute profession et de tout métier, de Bedlam, de prisons, de maisons de refuge. Peine inutile.

Elle n’en savait pas plus long au bout d’une heure d’interrogatoire. Elle y eût sans doute renoncé, s’il ne lui était venu à l’esprit qu’elle ne lui avait rien demandé de ce qui touche au ménage. C’était peut-être là la vraie piste. Elle la suivit. L’insuccès fut aussi complet qu’auparavant.

Elle entama adroitement la question du balayage : à peine savait-il le nom du balai. Elle passa au chauffage : il n’entendait rien à faire le feu. Elle se rabattit sur le brossage : il n’avait jamais touché une brosse. Elle insista sur le lessivage : il n’avait jamais vu de linge sale, et il eût rougi d’apprendre qu’on lavait le sien, car ce qu’il ne portait plus revenait de droit à ses gens de service.

La bonne femme était au désespoir. Il ne lui restait plus que la question de la cuisine. À son grand étonnement et à sa grande joie, le visage du roi s’éclaira tout à coup. Enfin elle avait touché juste. Elle le croyait du moins. Et elle était toute fière d’avoir si habilement manœuvré, puisqu’il donnait tête baissée dans le piège.

Elle put, dès ce moment, accorder du répit à sa langue. Le roi, inspiré sans doute par les tiraillements de la faim et par le fumet appétissant qui s’exhalait des poêlons et des casseroles, s’était lancé à corps perdu dans une savante dissertation sur la préparation des plats fins, et sur le choix et l’ordre des services. Il parlait avec tant de volubilité, de conviction, d’éloquence, que la brave femme se disait :

— C’est bien ça, il est marmiton.