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croire à la présence d’un cadavre ayant conservé un reste de chaleur.

Décidément il valait mieux attendre la mort et se résigner. Cette résolution l’eût emporté, n’eût-ce été l’aiguillon de la curiosité humaine. En dépit de sa volonté, sa main fit un mouvement machinal. La circonspection la faisait trembler, la peur la retenait ; le désir de savoir la poussait automatiquement, sans que la réflexion y eût aucune part.

La main saisit une touffe de cheveux. Il tressaillit, mais il poursuivit ses investigations. Ce qu’il tenait enfermé dans ses doigts lui semblait être une corde suspendue, effilée par un bout, chaude, et grossissant à mesure qu’il avançait vers le côté opposé. Il tâta plus haut, plus haut encore, et trouva… un veau qui dormait innocemment. La corde n’était pas une corde : c’était la queue du veau.

Le roi fut tout penaud de s’être laissé aller ainsi à la peur, d’avoir pleuré d’effroi pour un veau endormi. Il est vrai que tout autre enfant en eût fait autant à sa place, et je sais nombre d’hommes qui, dans ces temps superstitieux, et peut-être aussi dans les nôtres, auraient été enfants sur ce point.

Maintenant qu’il savait à quoi s’en tenir, il se trouvait heureux d’avoir un veau pour compagnon. Il avait été si complètement seul, il s’était cru si délaissé, que rien que la société de cet humble animal le réconfortait. Il avait été si cruellement malmené, si durement traité par ses semblables, qu’il se sentait en quelque sorte joyeux de la compensation qui lui était offerte par le hasard. Il savait déjà par ouï-dire que le veau a le cœur bon et le caractère doux, et il faisait en ce moment l’expérience de cette vérité, en apprenant que si tous les veaux n’ont pas toutes