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place ; du plus loin qu’on l’apercevait, on fuyait avec terreur, car on savait d’avance qu’elle ne menaçait point en vain. Aussi les gueux payaient-ils d’insolence, certains de ne point trouver de réplique. Ils arrachaient le linge qui séchait sur les haies, et l’emportaient sous les yeux mêmes des gens épouvantés. Personne ne s’avisait de protester, et l’on se trouvait fort heureux qu’ils n’eussent pas emporté les haies aussi.

Ils arrivèrent ainsi à une petite ferme qu’ils prirent d’assaut et s’y installèrent en maîtres. Le fermier, tremblant de tous ses membres, baissa la tête sous leurs clameurs et leurs menaces. La certitude de l’impunité ne laissa bientôt plus de frein à leur hardiesse. Ils obligèrent le pauvre diable ahuri à mettre à sac son garde-manger pour leur faire un déjeuner de Falstaff. Ils bâfrèrent et goinfrèrent, mangeant des deux mains à la fois. Ils jetaient les os et les trognons à la tête du fermier et de ses fils, applaudissant aux contorsions que faisaient les malheureux pour esquiver un mauvais coup, et s’esclafant à chaque fois que le projectile avait touché juste. Une des filles de service voulut riposter. Ils s’emparèrent d’elle et lui graissèrent les cheveux de beurre. Quand ils s’en allèrent enfin, ils jurèrent avec force menaces qu’ils reviendraient et brûleraient la ferme et ses gens, si jamais un mot de leur passage en cet endroit arrivait aux oreilles des autorités.

Vers midi, après une longue et rude étape, ils firent halte derrière une haie, à l’entrée d’un grand village. L’Hérissé leur accorda une heure de repos ; aussitôt ils se séparèrent. Afin de donner le change sur la réalité de leurs métiers d’emprunt, ils