Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

prêcher un sermon qu’ils n’écoutaient pas. Tom menait ainsi une existence variée et passablement agréable.

Petit à petit, les lectures et les rêves où réapparaissaient sans cesse les pompes de la vie princière firent une si forte impression sur son esprit qu’il se mit inconsciemment à jouer lui-même le rôle de prince. Son langage et ses gestes devinrent cérémonieux ; il affecta des airs de cour, au grand ébahissement et à l’ébaudissement général de ses intimes. En même temps, il prenait de jour en jour plus d’ascendant sur le peuple de petits vagabonds et de vauriens dont il était entouré. Bientôt il en arriva à leur inspirer un sentiment d’admiration et de crainte, comme eût fait un être supérieur. Et, en effet, il paraissait savoir tout ! Il disait et faisait des choses si surprenantes ! Il était si profond, si sensé ! Chacune de ses remarques, de ses actions était rapportée par les enfants à leurs aînés et à leurs parents ; ceux-ci, à leur tour, ne tardèrent point à s’entretenir de Tom Canty, à vanter ses mérites, à le regarder comme une espèce d’enfant sublime extraordinairement doué. Les hommes mûrs lui soumettaient leurs embarras et étaient tout stupéfaits de la justesse et de la sagacité de ses réponses et de ses avis. En un mot, il était devenu un héros pour tous ceux qui le connaissaient, excepté pour sa famille, qui ne voyait en lui rien de particulier.

Au bout de quelque temps, Tom eut sa cour. Il était le prince ; ses meilleurs camarades lui servaient de famille royale, de gardes d’honneur, de chambellans, d’écuyers, de lords. Pendant la journée, le prince pour rire était reçu avec le cérémonial prescrit par Tom lui-même et emprunté à ses lec-