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les yeux du bout de leurs manches dépenaillées ou du coin de leurs tabliers crasseux, en gémissant :

— Ayez de nous mercy, auguste sire !

— N’écrasez point sous vos pieds les vers rampants qui sont vos sujets, Majesté !

— Prenez à mercy vos esclaves et daignez ne point exhaler sur eux votre royale colère, ô noble maître !

— Réconfortez-nous et réchauffez-nous de vos gracieux et généreux rayons, ô soleil de flamme, soleil souverain et tout-puissant !

— Sanctifiez la terre en la touchant du bout de votre pied sacré, afin que nous puissions manger la poussière et être ainsi ennoblis !

— Daignez cracher sur nous, ô sire, afin que les enfants de nos enfants puissent parler de votre royale condescendance et qu’ils puissent être fiers et heureux à jamais !

Cependant l’étameur, dont l’inspiration avait mis en branle toute la population de la grange, voulut mettre le comble à la plaisanterie. Il s’agenouilla et se mit en devoir de baiser le pied du roi des Lunatiques. Mais Édouard le repoussa avec indignation. Sur quoi le facétieux drôle alla de rang en rang quémander un morceau d’étoffe pour coller là où il avait été touché par le pied de son auguste majesté. Il voulait, disait-il, soustraire cette partie de son corps au contact de l’air, parce qu’il était sûr maintenant de faire fortune, puisqu’il pouvait aller se montrer de ville en ville et amasser des centaines de shillings en laissant voir aux populations éblouies la place où le roi avait daigné poser sur lui son pied sacré.

Le pauvre petit Édouard Tudor pleurait de rage et de honte :