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criez : hourrah ! pour la bonne et compatissante loi anglaise, car les lanières du bourreau ont tant bu le sang de ma pauvre Mary, qu’à la fin est venue l’heure de la délivrance. Elle est là-bas, maintenant, couchée sous l’herbe, dans le Champ du Potier, où elle dort en paix. Et les petits ? me demandez-vous. Pendant qu’on me traînait de ville en ville en me fouettant, ils sont morts… Buvez, amis, buvez, rien qu’un coup, pour les pauvres agneaux du bon Dieu, qui n’ont jamais fait de mal à personne… J’ai mendié encore, j’ai demandé à un passant une croûte de pain, et l’on m’a donné la bastonnade, et l’on m’a coupé une oreille, tenez, voici ce qui m’en reste ; j’ai mendié toujours, et l’on m’a coupé l’autre oreille afin de me donner de la mémoire. J’ai mendié, et l’on m’a vendu comme esclave ; voyez cette tache de sang sur ma joue ; si je la lavais, vous verriez distinctement la lettre S que le fer rouge y a imprimée ! Vendu comme esclave ! Avez-vous bien entendu, avez-vous bien compris ? Un citoyen anglais, vendu comme esclave ! Regardez-moi tous tant que vous êtes, et criez hourrah ! pour la loi d’Angleterre, qui traite ainsi ceux qui ont faim… Je me suis échappé ; si mon maître met la main sur moi — périsse la loi de ce pays qui le veut ainsi ! — je serai pendu[1].

— Non, tu ne le seras point ; à dater de ce jourd’hui, cette loi a cessé d’exister !

À ces paroles qui venaient du fond de la grange,

  1. L’auteur commet sciemment un anachronisme. Ce n’est pas avant Édouard VI, mais sous son règne et après lui que furent édictées les mesures de rigueur contre les vagabonds et mendiants. Mark Twain use du Quidlibet audendi accordé aux poètes et romanciers. Le caractère qu’il prête à son héros lui sert d’excuse.