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nilles et montrèrent leurs dos sillonnés de cicatrices, souvenirs des étrivières reçues à diverses époques ; un d’eux souleva ses cheveux et fit voir l’absence de son oreille gauche ; un autre fit lire sur son épaule la lettre V, profondément imprimée dans la chair ; il avait également l’oreille mutilée. Le troisième dit :

— Je m’appelle Yokel ; j’étais autrefois un riche fermier, j’avais une femme que j’aimais et des enfants que j’eusse voulu élever suivant la loi du bon Dieu : maintenant il ne me reste plus rien de ce que je possédais ; la femme et les petits sont allés je ne sais où, peut-être au ciel, peut-être ailleurs ; mais où qu’ils soient, j’en rends grâces au bon Dieu, car ils sont toujours mieux qu’en Angleterre. Ma pauvre vieille mère, qui était une brave et honnête femme, allait mendier du pain qu’elle distribuait aux malades ; un d’eux est mort sans que les docteurs aient su pourquoi, et ma vieille mère a été brûlée comme sorcière sous les yeux de mes enfants qui pleuraient et sanglotaient… Voilà la loi anglaise ! Allons, haut les gobelets et les verres ! Debout les grinches, et buvons ! Hourrah pour la bonne et compatissante loi anglaise, qui a sauvé ma mère de l’enfer d’Angleterre !… Merci à tous et à toutes, pégriots, floumes et faraudènes… J’ai mendié alors, moi aussi, de maison en maison, et ma femme me suivait, portant sur le dos ou tenant par la main les pauvres petites créatures que le bon Dieu nous avait données pour enfants. Mais il paraît que c’est un crime en Angleterre d’avoir faim, et c’est pour cela qu’on nous a mis le dos à nu, et qu’on nous a cinglés de coups de lanière, en nous faisant passer par trois villes… Buvez, amis, et