Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de princes magnifiques. Sa tête s’emplissait de toutes ces choses merveilleuses. Bien des fois, la nuit, quand il était étendu sur sa paille grossière et incommode, moulu, la faim au ventre, le corps meurtri par les coups, son imagination donnait carrière à ses songes. Il oubliait alors ses souffrances et ses maux, en se figurant le délicieux tableau de la vie que mène un prince au sein des délices de la cour. Peu à peu une idée le hanta jour et nuit : il aurait voulu voir un prince, mais le voir de ses yeux. Une fois, il en parla à quelques camarades d’Offal Court : on se moqua de lui, on le bafoua si impitoyablement qu’il se promit de garder à l’avenir ses rêves pour lui.

Il lisait souvent les bouquins du prêtre et se les faisait expliquer et commenter. Ses rêveries et ses lectures opérèrent petit à petit une transformation dans tout son être. Les personnages dont il peuplait son cerveau étaient si beaux qu’il se prit à avoir honte de ses guenilles, de sa saleté, et à souhaiter d’être mieux lavé et mieux habillé. Il est vrai qu’il n’en continuait pas moins à se vautrer dans la boue ; mais, au lieu de dévaler la berge de la Tamise et de piétiner dans l’eau simplement pour s’amuser, il commença à apprécier l’utilité et l’avantage des bains et à s’en payer à cœur joie.

Tom trouvait toujours quelque chose à voir aux abords de l’Arbre de Mai, dans Cheapside, ou bien dans les foires. De temps à autre, il avait la chance, comme le reste de Londres, d’assister à la parade, quand on conduisait par terre ou par eau quelque illustre malheureux à la prison de la Tour. Un jour, pendant l’été, il vit brûler vifs, à Smithfield, la pauvre Anne Askew et trois hommes. On les avait attachés à un poteau ; il entendit un ex-évêque leur