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— En quoi ai-je pu offenser le bon Dieu pour qu’il m’ait pris l’air libre et pur des champs, la bonne et chaude lumière du soleil, afin de m’enfermer ici entre quatre murs et de faire de moi un roi, c’est-à-dire le plus malheureux des mortels ?

Alors sa pauvre tête réellement brisée se pencha tout doucement et retomba sur son épaule où elle resta immobile. Ce fut le signal de la suspension des affaires de l’État, le principal facteur, celui qui devait ratifier les décisions faisant défaut. Le silence se fit autour de l’enfant endormi, et les sages du royaume ne poussèrent pas plus loin leurs délibérations.

Dans l’après-midi, Tom eut une heure de récréation, avec la permission de ses deux fidèles gardiens, lord Hertford et lord Saint-John. Lady Élisabeth et la petite lady Jane Grey vinrent le voir ; mais les petites princesses étaient tout abattues, car elles étaient encore sous l’impression du grand coup qui avait frappé la maison royale. Lorsqu’elles se retirèrent, « sa sœur aînée », celle qu’on appela plus tard Marie la Sanglante, lui fit un sermon solennel qui n’eut qu’un mérite pour Tom, celui d’être court.

Il eut ensuite quelques minutes à lui ; puis il vit entrer un enfant d’une douzaine d’années, grêle et svelte, dont le costume, à l’exception d’une fraise blanche et des dentelles autour des poignets, était tout noir : pourpoint, haut-de-chausses et le reste. Il n’avait pour tout signe de deuil qu’un nœud pourpre sur l’épaule. Il s’avança timidement, la tête nue et basse, et mit un genou en terre.

Tom le regarda froidement, avec indifférence, la jambe gauche repliée sur la cuisse droite.

— Lève-toi, petit, dit-il enfin. Qui es-tu ? Que veux-tu ?