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cœur, mais sa famille s’oppose de toutes ses forces au mariage ; Breckinridge n’a pas de fortune et est impropre à tout travail. Elle n’a pas d’autre part des ressources suffisantes pour vivre à deux confortablement. — « Que dois-je faire ? » me demande-t-elle, dans cet embarras cruel.

C’est une question délicate. C’est une question dont la réponse doit décider pour la vie du sort d’une femme et de presque les deux tiers d’un homme. Je pense que ce serait assumer une trop grave responsabilité que de répondre par autre chose qu’une simple suggestion.

À combien reviendrait-il de reconstituer un Breckinridge complet ? Si Aurelia peut supporter la dépense, qu’elle achète à son amoureux mutilé des jambes et des bras de bois, un œil de verre et une perruque, pour le rendre présentable. Qu’elle lui accorde alors quatre-vingt-dix jours sans délai, et si, dans cet intervalle, il ne se rompt pas le cou, qu’elle coure la chance de l’épouser. Je ne crois pas que, faisant cela, elle s’expose à un bien grand risque, de toute façon. Si votre fiancé, Aurelia, cède encore à la tentation bizarre qu’il a de se casser quelque chose chaque fois qu’il en trouve l’occasion, sa prochaine expérience lui sera sûrement fatale, et alors vous serez tranquille, mariée ou non. Mariée, les jambes de bois et autres objets, propriété du défunt, reviennent à sa veuve, et ainsi vous ne perdez rien, si ce n’est le dernier morceau vivant d’un époux honnête et malheureux, qui essaya sa vie durant de faire pour le mieux, mais qui eut sans cesse contre lui ses extraordinaires instincts de destruction. — Tentez la chance, Maria, j’ai longuement réfléchi sur ce sujet, et c’est le seul parti raisonnable. Certainement Caruthers aurait sagement fait de commencer, à sa première