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jamais eu à recueillir les flèches plantées dans le cadavre des divers membres de leur famille pour en allumer le feu au campement du soir. Qui écrit les articles sur la tempérance et hurle contre le punch ? Des gaillards qui n’auront pas une minute l’haleine sobre jusqu’au jour de leur enterrement. Qui rédige les journaux d’agriculture ? Vous, tête d’igname. Et tous ceux, en règle absolue, qui ont échoué dans la poésie, ou dans les romans à couverture jaune, les drames à sensation, les chroniques mondaines, et qui finalement tombent sur l’agriculture dans leur dernière station avant l’hôpital. Et c’est vous qui essayez de m’en remontrer sur le métier de journaliste ! Monsieur, je connais ce métier depuis alpha jusqu’à oméga, et je vous dis que moins un homme a de compétence, plus il a de vogue et gagne d’argent. Le ciel m’est témoin que si j’avais été un ignare au lieu d’être un homme instruit, impudent au lieu de modeste, j’aurais pu me faire un nom dans ce monde froid et égoïste. Je me retire, Monsieur. Depuis que j’ai été traité comme je l’ai été par vous, je suis décidé à me retirer. J’ai fait mon devoir. J’ai rempli mes engagements aussi scrupuleusement que j’ai pu. J’ai prétendu que je pouvais rendre votre journal intéressant pour toutes les classes de lecteurs. Je l’ai fait. J’avais promis de faire monter votre tirage à vingt mille. Deux semaines de plus et le chiffre était atteint. Et je vous aurais donné la meilleure sorte de lecteurs qu’un journal d’agriculture ait jamais eue, qui n’eût pas compté un seul fermier, un seul individu capable de distinguer, quand même sa vie en dépendrait, un melon d’eau d’une pêche. C’est vous qui perdez à notre rupture, racine de pâté, et non pas moi. Adieu. » Et je partis.