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un homme dire : « Regardez son œil ! » Je feignis de ne pas remarquer l’attention dont j’étais l’objet, mais dans le fond j’en fus enchanté, et je projetai d’écrire tout cela à ma tante. Je grimpai les quelques marches, et j’entendis des voix joyeuses et un retentissant éclat de rire en approchant de la porte. En l’ouvrant, j’aperçus deux jeunes gens dont les figures pâlirent et s’allongèrent quand ils me virent, et tous les deux sautèrent soudain par la fenêtre avec grand fracas. Je fus surpris.

Une demi-heure plus tard, environ, un vieux gentleman, à barbe opulente, à visage noble et plutôt sévère, entra et s’assit à mon invitation. Il semblait préoccupé. Il quitta son chapeau, le posa sur le sol, et en retira un foulard de soie rouge et un numéro de notre journal. Il ouvrit la feuille sur ses genoux, et tandis qu’il polissait ses lunettes avec son foulard, il dit :

— « Vous êtes le nouveau directeur ? »

Je répondis que oui.

— « Avez- vous jamais dirigé un autre journal d’agriculture ? »

— « Non, fis- je, c’est mon premier essai. »

— « C’est très vraisemblable. Avez-vous quelque expérience pratique en matière d’agriculture ? »

— « Non. Je ne crois pas. »

— « Quelque chose me le disait, fît le vieux gentleman en mettant ses lunettes et me regardant par-dessus avec un air âpre, tandis qu’il pliait le journal commodément. Je veux vous lire ce qui m’a fait supposer cela. C’est cet article. Écoutez et dites-moi si c’est vous qui avez écrit ce qui suit :

« On ne devrait jamais arracher les navets. Cela les abîme. Il est bien préférable de faire monter un gamin pour secouer l’arbre. »