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à la dérive fit chavirer le radeau, qui plongea, et Jacob avec lui. On le repêcha aussitôt, et le docteur pompa l’eau de son estomac, et rétablit sa respiration avec un soufflet, mais il avait pris froid, et fut au lit neuf semaines. Ce qu’il y eut de plus incroyable fut que les méchants garçons du bateau eurent un temps superbe tout le jour, et rentrèrent chez eux sains et saufs, de la plus surprenante façon. Jacob Blivens dit qu’il n’y avait rien de semblable dans ses livres. Il était tout stupéfait.

Une fois rétabli, il fut un peu découragé, mais se résolut néanmoins à continuer ses expériences. Jusqu’alors, il est vrai, les événements n’étaient pas de nature à être mis dans les livres, mais il n’avait pas encore atteint le terme fixé pour la fin de la vie des bons petits garçons. Il espérait trouver l’occasion de se distinguer en persévérant jusqu’au bout. Si tout venait à échouer, il avait son discours mortuaire, en dernière ressource, prêt.

Il examina les auteurs et vit que c’était le moment de partir en mer comme mousse. Il alla trouver un capitaine et fit sa demande. Quand le capitaine lui demanda ses certificats, il tira fièrement un traité où étaient écrits ces mots : « À Jacob Blivens, son maître affectueux. » Mais le capitaine était un homme grossier et vulgaire. « Que le diable vous emporte ! cria-t-il ; cela prouve-t-il que vous sachiez laver les assiettes ou porter un seau ? J’ai comme une idée que je n’ai pas besoin de vous. » Ce fut l’événement le plus extraordinaire de la vie de Jacob Blivens. Un compliment de maître, sur un livre, n’avait jamais manqué d’émouvoir les plus tendres émotions des capitaines, et d’ouvrir l’accès à tous les emplois honorables et lucratifs dont ils pouvaient disposer. Cela n’avait jamais manqué