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CORRESPONDANCE.


Lettre I. — À M. de Buffon[1], sur sa Théorie de la terre. (Octobre 1748.)

J’ai lu, monsieur, le projet imprimé de votre Histoire Naturelle. Il m’a fait le même plaisir qu’à tous ceux qui s’intéressent aux progrès des sciences, à l’utilité publique et à la gloire de la nation ; et il m’a inspiré la plus vive impatience de voir la sphère des connaissances humaines s’étendre encore par les nouvelles découvertes que vous y annoncez. Je m’empresserai, dès que votre livre paraîtra, de recueillir cette nouvelle moisson que vous offrez aux philosophes, en même temps que vous leur présentez le spectacle de toutes les richesses de la nature rassemblées par vos soins et par la magnificence du roi. Je vous avouerai même que ma curiosité n’a pu attendre la publication de ce grand ouvrage pour s’instruire plus en détail d’un objet si propre à la piquer. Comme vous en avez lu plusieurs morceaux à l’Académie et à vos amis, je suis parvenu à en connaître quelques-uns, ou du moins ce qu’ils contiennent. En même temps que j’ai admiré l’étendue, la fécondité, et presque toujours la sagacité de votre esprit, j’ai remarqué plusieurs choses qui ne m’ont point paru vraies, et je crois ne pouvoir mieux faire que de vous communiquer mes observations, lorsqu’il est encore temps d’en faire usage, si elles sont fondées. Si j’ai mal conçu vos sentiments, ma critique pourra vous paraître prématurée ; mais j’aime mieux en ce cas qu’elle le soit, que d’être tardive, si elle est juste. Je la soumets à vos lumières ; soyez juge entre vous et moi ; je ne souhaite rien tant que d’avoir tort. Au reste, assurez-vous que je ne publierai point cette lettre. L’intérêt que je prends à l’éclaircissement de la vérité et à la perfection de votre ouvrage en est l’unique motif.

Vous promettez pour les premiers volumes un discours sur la théorie de la terre, divisé en deux parties, dont l’une regarde la terre comme planète,

  1. Turgot n’avait que vingt et un ans lorsque, sous le voile de l’anonyme, il adressa à Buffon, qui venait de publier le prospectus de son Histoire naturelle, la lettre qu’on va lire. — Elle montre, avec les Discours en Sorbonne, la Lettre à l’abbé de Cicé sur le papier-monnaie, celle à Mme de Graffigny sur son roman des Lettres péruviennes, les Observations critiques sur l’Origine des langues, de Maupertuis, et ses plans de Géographie politique et d’Histoire universelle, qui sont à peu près de la même époque, de quelle maturité précoce de jugement, et de quelle diversité d’aptitudes scientifiques la nature avait doué le premier de ces deux grands hommes. — À toutes les époques de sa carrière, du reste, et notamment après son renvoi du contrôle général, la physique, la chimie et la géologie ne cessèrent d’être pour Turgot un délassement à ses autres études. Ce qui le prouve, indépendamment de l’article Expansibilité de l’Encyclopédie, c’est sa correspondance inédite avec M. Caillard, dont nous donnons plus loin quelques fragments. Cette correspondance, qui embrasse les années 1770-1779, est pleine de détails qui font voir quel intérêt ces sciences lui avaient inspiré, et quelle importance il attachait à leur progrès. Elle constate également qu’il apportait dans ses affaires privées le même esprit d’ordre que dans les affaires publiques. Il aimait beaucoup les livres, se procurait immédiatement tous les ouvrages sérieux, et possédait une belle bibliothèque, riche surtout en œuvres de philologie. (E. D.)