siècle, la philosophie, ou plutôt la raison, en étendant son empire sur toutes les sciences, a fait ce que firent autrefois les conquêtes des Romains parmi les nations ; elle a réuni toutes les parties du monde littéraire, elle a renversé les barrières qui faisaient de chaque science comme un État séparé, indépendant, étranger aux autres. On s’est aperçu que la formation et la dérivation des mots, les changements insensibles, les mélanges, les progrès et la corruption des langues étaient des effets déterminés de causes déterminées, et dès lors un objet de recherche pour les philosophes. La vraie métaphysique, dont Locke nous a ouvert le premier le chemin, a encore mieux prouvé combien l’étude des langues pourrait devenir curieuse et importante, en nous apprenant quel usage nous faisons des signes pour nous élever par degrés des idées sensibles aux idées métaphysiques, et pour lier le tissu de nos raisonnements ; elle a fait sentir combien cet instrument de l’esprit que l’esprit a formé, et dont il fait tant d’usage dans ses opérations, offrait de considérations importantes sur la mécanique de sa construction et de son action, on a vu que les signes de nos idées, inventés pour les communiquer aux autres, servaient encore à nous en assurer la possession, et à en augmenter le nombre ; que les signes et les idées formaient comme deux ordres relatifs de choses, qui se suivaient dans leurs progrès avec une dépendance mutuelle, qui marchaient en quelque sorte sur deux lignes parallèles, ayant les mêmes inflexions, les mêmes détours, et s’appuyant perpétuellement l’un sur l’autre ; enfin, qu’il était impossible de connaître bien l’un sans les connaître tous deux. — nos idées abstraites n’ayant point un modèle existant hors de nous, et n’étant que des signes de nos idées collectives, tous les raisonnements des philosophes ne seront que de perpétuelles équivoques, si, par une juste analyse, on ne marque avec précision quelles sont les idées qui entrent dans la composition de ces idées abstraites, et surtout à quel point elles sont déterminées, on ne saurait lire aucun ancien philosophe sans reconnaître combien le défaut de cette précaution a produit d’erreurs.
L’étude des langues bien faite serait peut-être la meilleure des logiques : en analysant, en comparant les mots dont elles sont composées, en les suivant depuis la formation jusqu’aux différentes significations qu’on leur a depuis attribuées, on reconnaîtrait le fil des idées, on verrait par quels degrés, par quelles nuances les hommes ont passé de l’une à l’autre ; on saisirait la liaison et l’analogie qui sont entre elles ; on pourrait parvenir à découvrir quelles ont été celles qui se sont présentées les premières aux hommes, et quel ordre ils ont gardé dans la combinaison de ces premières idées. Cette espèce de métaphysique expérimentale serait en même temps l’histoire de l’esprit du genre humain, et du progrès de ses pensées toujours proportionné au besoin qui les a fait naître. Les langues en sont à la fois l’expression f et la mesure.
L’histoire des peuples ne reçoit pas moins de jour de la connaissance des langues. Les temps historiques, qui ne peuvent remonter beaucoup plus haut que l’invention de l’art d’écrire, sont renfermés dans un espace assez
maire générale, dont nous n’avons retrouvé que la préface et quelques observations détachées.
Il nous a paru d’autant plus convenable de les placer ici, que plusieurs de ces observations portent sur des étymologies dont quelques-unes ont déjà été indiquées dans l’article de l’Encyclopédie qui précède, et qu’on peut les regarder comme des fragments utiles du même ouvrage. (Note de Dupont de Nemours.)