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connaissance de cause ? Si, malgré ces justes représentations, le roi persistait à vouloir obliger tous ses sujets à prendre de ce remède, et tous les médecins à en donner, même lorsqu’ils en croiraient l’application dangereuse, que penserions-nous d’une telle conduite ? Ne nous paraîtrait-elle pas contraire aux premières lumières de la raison ? Je laisse faire à chacun l’application de cette comparaison, pour ne pas paraître trop mêler les choses profanes avec les choses célestes.

Je crois, monsieur, avoir assez justifié la tolérance. Il y a un siècle que ces principes auraient pu choquer bien des personnes ; mais nous devenons tous les jours plus éclairés, et nous apprenons à distinguer dans la religion ce qui lui est essentiel, de ce que les hommes y ont ajouté. Nous détestons plus que jamais l’inquisition ; nous admirons l’édit de tolérance de l’impératrice-reine : le roi de Prusse nous paraît sage pour avoir, quoique protestant, accordé aux catholiques le libre exercice de leur religion. La révocation de l’édit de Nantes nous révolte ; nos troupes gémissent lorsqu’elles sont employées contre les protestants : enfin, on a soutenu dans quelques thèses de la Faculté de théologie la tolérance civile ; plusieurs écrits paraissent l’inspirer, tous les discours y tendent. Espérons donc, monsieur, que dans peu les esprits, rendus à eux-mêmes, rougiront d’un aveuglement qui n’a que trop influé sur la conduite des princes, et dont tant d’hommes ont été les victimes. Que nous serions heureux l’un et l’autre, monsieur, si nous pouvions y contribuer !


FRAGMENT
DE L’HISTOIRE DU JANSÉNISME ET DU MOLINISME[1].

Il est utile de connaître l’origine et les détails de ces querelles tristement fameuses qui, sous les noms de jansénisme et molinisme, ont déchiré si longtemps l’Église de France, ont agité même l’État, ont fait le malheur d’une foule d’hommes respectables dans les deux partis, et dont l’incendie,

  1. On a vu dans tout le cours de ce recueil combien M. Turgot mettait d’importance à ce que les gouvernements n’intervinssent jamais dans les querelles religieuses, qu’ils respectassent toutes les opinions que les hommes croient de nature à intéresser la conscience, et qu’ils se bornassent à punir les actions nuisibles à la société.

    « On ne peut disputer, disait-il, que sur ce qui n’est pas clair. C’est pourquoi l’on ne dispute point sur la géométrie, ni même sur les vérités morales, qui ont aussi leur évidence.

    « Quant aux matières obscures, tant qu’elles continuent à l’être, on conteste à forces à peu près égales ; et la discussion peut durer sans inconvénient jusqu’à la conviction, ou jusqu’à l’ennui, sans que l’autorité publique ait autre chose à y faire que d’interdire l’injure et de réprimer les voies de fait.

    « Mais, si elle a le malheur de prendre parti, elle s’expose à commettre, même avec bonne intention, des persécutions injustes, à exciter des murmures, à provoquer des résistances qui troublent l’État, et dont les conséquences ne peuvent être prévues. »

    Pour confirmer cette doctrine par des faits très-récents, et dont le public s’occupait encore, il avait songé à écrire l’Histoire du jansénisme et du molinisme.

    Le morceau qu’on va lire en est un fragment qu’il a donné, avec le droit d’en faire