parce que le but de l’État n’est pas de montrer aux citoyens le chemin du salut dont il doit leur laisser le choix, mais de leur offrir une voie d’instruction utile. L’État n’est pas juge des moyens de se sauver, donc il ne doit pas forcer à prendre celui-ci ou celui-là. L’État juge de l’utilité d’une éducation religieuse pour les peuples, donc il peut en établir une, pourvu qu’il ne force pas : il est ici, pour suivre votre comparaison, à la place du père de famille ; il a la voie du conseil.
4o Quand j’ai dit que la religion dominante l’est de fait, et non de droit, j’ai ajouté le mot à la rigueur. On peut bien, si l’on veut, dire que la religion protégée par l’État est dominante de droit, pourvu qu’on ne prétende pas qu’elle soit adoptée par l’État comme vraie, ni que l’État puisse juger de sa vérité. Elle sera protégée, c’est-à-dire que ses ministres auront des biens-fonds ; mais cette protection ne doit jamais tourner contre les autres religions auxquelles l’État doit la liberté.
5o La société peut choisir une religion pour la protéger, mais elle la choisit comme utile, et non comme vraie ; et voilà pourquoi elle n’a pas droit de défendre les enseignements contraires : elle n’est pas compétente pour juger de leur fausseté ; ils ne peuvent donc être l’objet de ses lois prohibitives, et si elle en fait, elle n’aura pas droit de punir les contrevenants, je n’ai pas dit les rebelles, il n’y en a point où l’autorité n’est pas légitime.
6o Dès que la société n’a pas droit sur les consciences, elle n’a pas droit de bannir de son sein ceux qui refusent de se soumettre à ses lois sur la religion pour suivre leur conscience, attendu que les membres de la société ont des droits qu’elle ne peut leur faire perdre par des lois injustes. La patrie et le citoyen sont enchaînés par des nœuds réciproques. Or, que la société n’ait aucun droit sur les consciences, c’est ce dont on ne peut douter, s’il est vrai que l’État ne soit pas juge de la religion, et qu’il ne faille pas être mahométan à Constantinople et anglican à Londres. Dire que tous les délits sont des cas de conscience, et ceux même dont la violence blesse la société civile, c’est dire une chose vraie ; mais qu’en conclut-on ? Dieu a pu punir Cartouche ; mais a-t-il été roué parce qu’il avait offensé Dieu ? Tout ce qui blesse la société est soumis au tribunal de la conscience ; mais tout ce qui blesse la conscience n’est punissable par la société que parce qu’il viole l’ordre public : or, la société est toujours juge de cette violation, quoiqu’on allègue une conscience erronée. Et vous ne pouvez pas argumenter contre moi de cet aveu, parce que nous convenons tous deux que la religion ne blesse point l’ordre extérieur.
7o Il me semble n’avoir pas supposé ce qui est en question sur les bornes des juridictions temporelles et spirituelles. Je suis parti d’un point convenu, que chacun a une âme à sauver, et qu’on ne se sauve pas pour autrui.
8o Ce principe, que rien ne doit borner les droits de la société sur le particulier, que le plus grand bien de la société, me paraît faux et dangereux. Tout homme est né libre, et il n’est jamais permis de gêner cette liberté, à moins qu’elle ne dégénère en licence, c’est-à-dire qu’elle ne cesse d’être liberté en devenant usurpation. — Les libertés comme les propriétés sont limitées les unes par les autres. La liberté de nuire n’a jamais existé devant la conscience. La loi doit l’interdire, parce que la conscience ne la permet pas. La liberté d’agir sans nuire ne peut, au contraire, être restreinte que par des lois tyranniques. On s’est beaucoup trop accoutumé dans les gou-