Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

approvisionner les nations du Nord, avant que les glaces en aient fermé les ports.

Ils n’ont pas même la ressource de laisser leurs vins à Bordeaux, pour les y vendre après un an de séjour : aucun vin étranger à la sénéchaussée de Bordeaux ne peut rester dans cette ville passé le 8 septembre. Le propriétaire qui n’a pu vendre le sien à cette époque n’a que le choix, ou de le convertir en eau-de-vie, ou de le faire ressortir de la sénéchaussée en remontant la rivière ; c’est-à-dire d’en diminuer la valeur, ou de la consumer en frais inutiles.

Par cet arrangement, les vins de Bordeaux n’ont à craindre aucune concurrence pendant tout l’intervalle qui s’écoule depuis les vendanges jusqu’au mois de décembre.

Depuis cette époque même du mois de décembre, jusqu’au 8 septembre de l’année suivante, le commerce des vins dû haut pays gémit sous des entraves multipliées.

Les vins ne peuvent être vendus immédiatement à leur arrivée : il n’est pas libre de les verser de bord à bord, dans les vaisseaux qui pourraient se trouver en chargement dans ce port, ou dans quelque autre port de la Garonne. Il faut nécessairement les décharger et les entreposer, non pas dans la ville de Bordeaux, mais dans un faubourg, dans un espace déterminé de ce faubourg, et dans des celliers particuliers, où il n’est pas permis d’introduire des vins du territoire de Bordeaux.

Les vins étrangers à ce territoire doivent être renfermés dans des futailles d’une forme particulière, dont la jauge est moins avantageuse pour le commerce étranger. Ces futailles, reliées avec des cercles en moindre nombre et d’un bois moins fort, sont moins durables et moins propres à soutenir les voyages de long cours, que les tonneaux affectés exclusivement aux vins de Bordeaux.

L’exécution de cet assemblage de règlements, combinés avec le plus grand art pour assurer aux bourgeois de Bordeaux, propriétaires de vignobles dans la sénéchaussée, l’avantage de vendre leur vin plus cher, au préjudice des propriétaires de tous les autres vignobles des provinces méridionales, au préjudice des consommateurs de toutes les autres provinces du royaume, au préjudice même des commerçants et du peuple de Bordeaux, s’appelle dans cette ville la police des vins. Cette police s’exerce par les jurats, sous l’autorité du parlement.