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Par les arrêts du Conseil des 4 avril 1708, 18 janvier 1724, 2 juin 1733, et autres successivement rendus, tous les bois situés

    eût droit d’en profiter ? Nous ne disconviendrons pas que le possesseur d’un domaine en tirera un grand avantage pour l’exploitation de ses terres et pour la facilité du transport de ses denrées ; mais tous les commerçants du royaume, autres que ceux qui font le trafic dès productions de la terre, ne retireront-ils pas le même avantage de l’entretien de la voie publique ? Le poids des marchandises étrangères qui se transportent d’une extrémité du royaume à l’autre, les voitures publiques ouvertes à tous les citoyens, les rouliers et les voyageurs, n’y causeront pas moins de dégradations, et jouiront de la même commodité sans être tenus de payer pour l’établissement ou la réparation des grandes routes. Ne serait-il pas de la justice de Votre Majesté de répartir l’imposition sur tous ceux qui font usage de la voie publique, en proportion de l’utilité qu’ils en retirent ? La perception, sans doute, deviendrait très-difficile, et peut-être impraticable ; mais puisque nous avons l’honneur de parler à un roi qui ne veut que Le bonheur de son peuple, ne nous sera-t-il pas permis de lui exposer le moyen de le soulager ?

    « Les peuples les plus anciens, les nations les plus sages, les républiques les mieux policées, ont toujours employé leurs armées à l’établissement et à l’entretien des chemins publics. Les ouvrages faits par les gens de guerre ont toujours été les plus solides, et il existe encore en France des chemins construits par César lors de la conquête des Gaules.

    « Votre Majesté pourrait également faire travailler ses soldats pendant la paix. Cent mille hommes employés pendant un mois, à deux reprises différentes dans l’année, quinze jours au printemps, quinze jours en automne, achèveraient plus d’ouvrages que toutes les paroisses du royaume. Par cet arrangement, les chemins se trouveraient toujours en bon état, et le doublement de la paye tiendrait lieu d’indemnité pour ce nouveau travail. Cent mille hommes font 25,000 fr. par jour ; pour un mois, ce serait 750,000 liv., et en y ajoutant la même somme pour les voitures à charrois, la totalité ferait un objet de 1,500,000 liv. Le corps du génie pourrait remplacer l’école des ponts et chaussées, et les fonds actuellement destinés à cette école et à ces travaux se trouveraient suffisants sans aucune taxe nouvelle. Les soldats y trouveraient un bénéfice, et les vues de bienfaisance de Votre Majesté seraient entièrement remplies.

    « Voilà, sire, les réflexions que l’amour du bien public nous a suggérées : puissent-elles être agréées de Votre Majesté ! En lui fournissant le moyen d’épargner un impôt à ses sujets, nous croyons donner à Votre Majesté une nouvelle preuve de notre amour et de notre respect. Si elle pouvait douter des sentiments qui nous animent, et que nous partageons avec tout son parlement, Votre Majesté peut s’assurer par elle-même des véritables motifs qui ont dirigé les démarches d’un corps si attaché à son souverain.

    « Jusqu’à présent, sire, les rois, vos augustes prédécesseurs, n’ont déployé leur puissance souveraine que pour faire usage de la plénitude du pouvoir absolu. La bouche des magistrats a toujours été muette, et leur esprit, accablé sous le poids de l’autorité, n’osait, même au pied du trône, réclamer l’usage de la liberté, qui doit être le partage des fonctions de la magistrature. Votre Majesté veut-elle connaître ses véritables intérêts ? veut-elle assurer le bonheur de ses peuples ? Si les magistrats les plus fidèles pouvaient être suspects dans leurs motifs ou dans leurs intentions, Votre Majesté, en ce moment, est entourée de ses augustes frères, des princes de la famille royale, des pairs de France, des ministres de son Conseil, des plus nobles personnages du royaume : qu’elle daigne les consulter. Voilà le véritable conseil des rois ; voilà l’élite de la nation ; c’est par leur bouche qu’elle parlera : vous connaîtrez, sire, par l’expression de leurs sentiments, et ce qu’il y a de plus analogue à la constitution de l’État, et ce qu’il y a de plus utile pour le bien général de vos sujets. Ils sont tous animés du même esprit ; la vérité ne craindra point de se montrer au milieu de l’appareil éclatant qui environne Votre Majesté ; l’expérience prêtera son appui à la