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c’est donc sans objet et sans intérêt que l’avidité fiscale a dérangé sur ce point l’ordre que la nature des choses avait établi.

§ IV. Examen des motifs qu’on allègue pour restreindre la liberté naturelle de l’exploitation des mines, et qu’on tire de l’intérêt qu’a l’État à ce qu’elles soient exploitées de la manière la plus fructueuse. — Après avoir détruit le véritable motif qui a fait introduire la jurisprudence domaniale sur les mines, il me reste à discuter les prétextes dont on a cherché à l’appuyer.

On part d’un principe incontestable, c’est l’intérêt qu’a l’État à ce que les mines soient mises en valeur et exploitées de la manière la plus avantageuse, soit pour épargner l’achat des matières qu’on serait obligé de tirer de l’étranger pour fournir aux différents besoins de la société, soit pour mettre dans le commerce de nouvelles valeurs qui en augmentent l’activité.

Or, on prétend que la liberté laissée à tout propriétaire d’ouvrir son terrain à l’exclusion de tout autre, est incompatible avec l’exploitation fructueuse des mines.

§ V. Première objection contre la liberté, fondée sur la nécessité de faire de grosses avances et de courir de très-gros risques pour mettre une mine en valeur ; d’où l’on conclut qu’il est indispensable d’assurer à un seul entrepreneur le droit exclusif de faire travailler toutes les mines qui se trouvent dans une certaine étendue de terrain. — Il n’est pas possible, dit-on, de mettre une mine en valeur sans commencer par faire les plus grandes dépenses : il faut creuser des puits, percer des galeries dans le roc, soutenir les uns et les autres par de forts étais, établir des machines pour l’épuisement des eaux, bâtir des fourneaux, payer une foule d’ouvriers, acheter du bois, extraire la mine, la fondre avant de retirer un sou. De pareilles avances, effrayantes par leur immensité, le sont encore plus par l’incertitude du succès. On sait que les plus habiles artistes ne peuvent former que des conjectures plus ou moins probables sur la richesse d’une mine, ni même sur la vraie direction des filons, dont la marche irrégulière déconcerte souvent les mineurs les plus expérimentés. Maintenant, quel est l’homme qui voudra faire des avances aussi fortes, et risquer sa fortune, s’il n’est pas assuré de recueillir sans partage le fruit de ses travaux ; si, lorsque ses recherches lui auront enfin découvert une mine suivie et abondante, les propriétaires de chacun des héritages sous lesquels elle passe, ou ceux à qui