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eux au double, le gouvernement semblait par là réaliser un bénéfice annuel de 100,000 écus. Mais ce n’était qu’en apparence et non en réalité. D’abord, en temps de paix, l’État ne consommait pas plus de 500 milliers de poudre, et en temps de guerre la compagnie n’était pas tenue de lui fournir plus que la quantité déterminée par le bail. Dans le dernier cas, il s’approvisionnait où et de la manière qu’il pouvait ; et dans le second il laissait la compagnie bénéficier de 150,000 livres, ou de la moitié de la redevance due au Trésor. Ce monopole singulier s’aggravait par un autre abus. Quoique l’art d’établir des nitrières artificielles ne fût pas ignoré dans plusieurs États de l’Europe, en France le gouvernement en était encore, pour obtenir le salpêtre, aux méthodes en usage du temps de François Ier. On ne savait que démolir les vieux édifices ou faire des fouilles, et lessiver les décombres ou les terres, pour en extraire les substances imprégnées de cette matière. Or, l’administration s’étant réservé le privilége d’opérer cette besogne, avait stipulé que la ferme des poudres lui achèterait le salpêtre sur le pied de sept sous la livre, c’est-à-dire à un prix insuffisant pour rémunérer le travail des ouvriers qu’elle employait. De là, la nécessité d’accorder aux salpêtriers un supplément de salaire, qui n’absorbait pas moins de 50 à 60,000 livres par année, et des priviléges qui étaient aussi onéreux que vexatoires pour la masse des citoyens[1]. Enfin, le Trésor payait à la compagnie un abonnement annuel de 27,000 livres pour risques de sauts de moulins, la garantissait contre tous les événements de force majeure, et supportait, année commune, pour 10,000 livres de dépenses accidentelles. Par suite de toutes ces circonstances, le bail apparent de 100,000 écus descendait donc au chiffre définitif de 53 à 63,000 livres. Si ce monopole n’assurait pas la défense de l’État, en revanche il procurait à la compagnie, dit Dupont de Nemours, 30 p. 100 d’intérêt de son capital évalué à 4 millions. Turgot cassa encore le bail des poudres, remplaça la ferme par une régie, mit

  1. Dupont de Nemours évalue à 600,000 liv. le dommage matériel que la nation en éprouvait.