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objets de ses absurdes imputations, et bien plus funestes encore à lui-même. L’attroupement séditieux est un crime trop destructeur de l’ordre public pour qu’il puisse demeurer impuni. Le gouvernement est obligé, malgré lui-même, d’armer la juste sévérité des lois, et les coupables expient dans les supplices le crime où les a entraînés une impétuosité aveugle, qui n’a pas été réprimée à temps. L’intention du roi, marquée dans la lettre de M. le contrôleur-général à M. le procureur-général du Parlement de Paris, est que le procès soit fait, aux auteurs des émeutes excitées à l’occasion du transport des grains, suivant la rigueur des ordonnances. Il ne faut rien omettre de ce qui peut dispenser d’en venir à cette fâcheuse extrémité.

À la fermeté qui réprime les murmures, il faut sans doute joindre des mesures douces qui puissent calmer les alarmes du peuple et lui ôter les prétextes de murmurer. Mais, dans le choix de ces mesures, il faut soigneusement éviter tout ce qui peut tendre à ameuter la populace, à frapper ses yeux, à lui faire croire qu’on partage ses inquiétudes et ses fausses imputations contre les propriétaires de grains et les prétendus monopoleurs. Lors même qu’on croit devoir quelques ménagements aux préjugés du peuple, il ne faut jamais lui donner lieu d’imaginer qu’on les adopte, et encore moins qu’on y cède par un motif de crainte ou de faiblesse.

Un des préjugés de ce genre que l’habitude a le plus enracinés, et que l’ancienne conduite de l’administration a le plus consacrés, c’est l’idée que la subsistance publique est liée à la vente des grains dans les marchés. Quand ils sont dégarnis, on croit toucher à la famine, et la crainte devient universelle.

Il est cependant très-indifférent en soi que le grain se vende dans le marché ou hors du marché, pourvu que la même quantité de grains soit vendue. Quand on défendrait de vendre ailleurs qu’au marché, cela ne produirait pas un seul boisseau et ne nourrirait pas un homme de plus. Au contraire, les frais de transport au marché, les droits de mesurage, la crainte d’être exposé aux reproches injurieux de la populace si, n’en trouvant pas le prix qu’on en désire, on veut le remporter, sont autant de raisons qui éloignent les propriétaires de grains des marchés et qui leur font préférer de vendre chez eux, même à plus bas prix.

Il est à croire que le peuple se défera peu à peu de cette habitude