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Les motifs que nous venons de présenter sont anciens, et subsisteraient indépendamment des accidents particuliers et de l’intempérie des saisons. Malheureusement, la mauvaise récolte des grains et l’anéantissement de toutes les espérances auxquelles la continuité des pluies ne permet plus de se livrer sur les récoltes d’automne, sollicitent encore d’une manière plus forte et plus pressante les bontés de Sa Majesté pour les peuples de cette province.

Les pluies excessives qui ont eu lieu pendant l’automne de 1768 avaient déjà beaucoup nui aux semailles ; plusieurs champs n’ont pu être ensemencés, et dans ceux qui l’ont été, les terres, imbibées d’eau et plutôt corroyées que labourées par la charrue, n’ont pu acquérir le degré d’ameublissement nécessaire pour le développement des germes. La sécheresse qui a régné au commencement du printemps n’a pas permis aux jeunes plantes de taller et de jeter beaucoup d’épis. À la fin du printemps, les pluies sont survenues et ont fait couler la fleur des grains ; les seigles surtout ont souffert, et dans toute la partie du Limousin, la récolte, après qu’on aura prélevé la semence, pourra suffire à peine pour nourrir les cultivateurs ; il n’en restera point pour garnir les marchés et fournir à la subsistance des ouvriers de toute espèce répandus dans les campagnes et dans les villes. Le succès des blés noirs et des châtaignes, en fournissant aux cultivateurs et en général aux habitants de la campagne la subsistance de plusieurs mois, leur aurait laissé la liberté de vendre une partie de leurs grains ; mais cette ressource paraît leur devoir être enlevée par les pluies, qui n’ont pas cessé de tomber depuis le 15 du mois d’août jusqu’à présent, en sorte que la province est menacée d’une véritable famine[1].

La même cause fera perdre la totalité des regains, c’est-à-dire le tiers de la production des prairies. Les vignes, qui donnaient à peu près l’espérance d’une demi-année, et qui dans les élections d’Angoulême et de Brive forment une partie considérable du revenu, n’en donneront presque aucun, et l’année 1769 sera peut-être plus malheureuse encore que celle de 1767, une des plus fâcheuses qu’on ait essuyées depuis longtemps ; elle sera même plus malheureuse pour le Limousin, qui du moins en 1768 n’a pas souffert autant que les provinces du nord de la cherté des grains, et qui vraisemblablement

  1. Cette triste prévision se réalisa. — Voyez tome II, Travaux relatifs à la disette éprouvée par la généralité de Limoges en 1770 et 1771. (E. D.)