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générale d’un ministère qui avait prostitué le pouvoir dans les antichambres de madame du Barry, et qui était encore plus odieux à la nation que cette courtisane même, devenait une nécessité[1]. C’est par suite de cette nécessité que Turgot succéda, le 20 juillet 1774, à l’obscur ministre de la marine de Boynes, et fut nommé, le 24 août suivant, contrôleur-général à la place de l’abbé Terray. Il ne faudrait pas en induire, néanmoins, que ce choix eût été dicté par l’opinion publique, et qu’il ait eu d’abord beaucoup de retentissement. Quoique célèbre dans sa province, quoique en honneur à Paris auprès des philosophes, des gens de lettres et de plusieurs membres de la haute administration, le nom de l’intendant de Limoges était, et devait être par la force même des choses, presque ignoré de la ville et de la cour. Qui aurait pu l’apprendre à la masse, en effet, à une époque où il était défendu d’écrire sur les matières d’administration, où l’on manquait de journaux quotidiens, et où la presse se composait exclusivement de recueils périodiques livrés à l’omnipotence de la censure ? Sous un tel régime, n’était-il pas inévitable que les talents, comme l’incapacité, de quiconque n’occupait pas un des premiers postes de l’État, ne fussent jamais mis en évidence ? Ce fut donc une circonstance tout à fait accidentelle qui décida de l’entrée de Turgot au ministère. L’abbé de Véry, qu’il avait eu pour condisciple en Sorbonne, exerçait une grande influence sur madame de Maurepas, qui jouissait elle-même d’un empire absolu sur le vieillard que Louis XVI venait de prendre pour mentor. Lors-

  1. Les membres du cabinet, à la mort de Louis XV, étaient : 1o le chancelier Maupeou, ayant les sceaux ou le département de la justice ; 2o l’abbé Terray, au contrôle-général ; 3o le duc d’Aiguillon, successeur de Choiseul et amant de Mme du Barry, au ministère de la guerre et des affaires étrangères ; 4o de Boynes à la marine ; 5o enfin le duc de La Vrillière, ayant le département de la maison du roi et la délivrance des lettres de cachet. — Ils ne tardèrent pas à être remplacés, savoir : Maupeou par Hue de Miroménil ; Terray par Turgot ; le duc d’Aiguillon, par le comte du Muy à la guerre, et par le comte de Vergennes aux affaires extérieures ; de Boynes par M. de Sartine ; et le duc de La Vrillière, beaucoup plus tard, par Malesherbes. — Le maréchal du Muy étant mort, le comte de SaintGermain lui succéda le 21 octobre 1773.