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dans la paroisse où est le corps du domaine. Je sais que les règlements s’y opposent, parce que, la taille étant dans l’origine une imposition personnelle, chaque contribuable ne peut être taxé qu’au lieu de son domicile ; mais les règlements peuvent être changés par la même autorité qui les a établis, et le roi ayant annoncé, par sa déclaration du 30 décembre, le projet de perfectionner la taille tarifiée dans toutes ses parties, vous ne devez point être arrêté dans vos réflexions par les règlements actuels, et vous devez étendre vos vues sur tout ce que vous croirez pouvoir être utile. Quand vous vous tromperiez, vous donneriez toujours lieu à une discussion plus approfondie, à un examen de l’objet sous toutes ses faces, et votre erreur même ne serait point infructueuse. Je ne craindrai pas qu’elle puisse devenir nuisible ; il y a toujours si loin du projet à l’exécution, qu’on a certainement tout le temps d’y réfléchir.

Si l’on taxe tous les fonds dans le lieu où ils sont situés, fera-t-on porter toute l’imposition sur la tête du propriétaire, comme dans les pays de taille réelle, ou sur la tête du cultivateur, comme dans les pays de taille personnelle ? Il est bien clair que dans les deux méthodes c’est toujours le propriétaire qui paye, mais le propriétaire étant plus riche que le colon, étant plus attaché à son fonds, et plus sur de retrouver dans une année ce qu’il perd dans une autre, n’est pas aussi aisément ruiné par une surcharge accidentelle et momentanée que le colon ; il n’y a pas à craindre que le découragement lui fasse abandonner son champ. Si, pour mettre sa terre en valeur, il a le plus grand intérêt, à trouver de bons cultivateurs, il a de même intérêt à leur inspirer la plus grande sécurité ; il a donc intérêt à prendre sur lui toutes les charges, et il doit désirer que le colon ne soit point taxé. Il en sera bien dédommagé par les conditions avantageuses que celui-ci lui fera en prenant sa terre. Le transport de l’imposition sur la tête du propriétaire seul anéantirait la plus grande partie des frais et des exécutions qui aggravent si cruellement le poids des taxes : les saisies de fruits et les exécutions seraient presque toutes converties en de simples saisies-arrêts entre les mains du fermier et du colon. Le privilège des nobles se concilierait aisément avec cette innovation. Il serait également facile ou de diminuer du tiers la cote des nobles, comme on l’a fait jusqu’ici en supprimant leur taxe de propriété, ou d’appliquer leur privilège à certains fonds, comme on l’a fait dans les pays de taille réelle.