Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/557

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des mines. Il faut raisonner de cet argent introduit par le commerce dans l’État commerçant, comme de celui qui a été tiré immédiatement des mines dans l’État possesseur des mines. L’argent, devenu commun, enchérit les denrées ; bientôt elles ne peuvent plus être données au même prix à la nation qui solde en argent, et des nations où l’argent est plus rare obtiennent la préférence. La nation qui avait acquis la surabondance d’argent est elle-même obligée de tirer une partie de ce qu’elle consomme des nations plus pauvres en argent. Ainsi, l’argent se répand peu à peu dans toutes les nations à raison de leur proximité plus ou moins grande du pays où sont les mines, et à raison de l’époque plus ou moins ancienne où elles ont commencé à entrer dans le système, ou, si l’on veut, dans la grande société des nations policées et commerçantes ; enfin, à raison de ce que leur constitution et leur législation intérieures sont plus ou moins favorables à l’accroissement des productions et à l’activité du commerce. Du Pérou et du Brésil, l’or et l’argent passent en Espagne et en Portugal ; de là en France, en Angleterre, en Hollande, puis en Allemagne et dans les pays du Nord. On sait que l’or et l’argent sont encore assez rares en Suède pour que le cuivre y ait la fonction de monnaie, comme dans les premiers temps de la république romaine, où le mot œs signifiait ce que signifie aujourd’hui le mot argent, dans l’usage ordinaire du commerce et de la vie civile.

Les mines ne cessant de fournir chaque année un nouvel accroissement à la masse des métaux précieux, il en résulte que depuis le pays où ces mines s’exploitent jusqu’aux dernières régions qui participent le plus tard et dans la plus petite proportion à la distribution annuelle qu’en fait le commerce, il n’en est aucune qui, dans l’ordre naturel des choses, et abstraction faite des dérangements que peuvent occasionner les dépenses excessives au dehors, la guerre, les fausses opérations du gouvernement, n’éprouve chaque année un accroissement dans la masse de son pécule circulant.

Dans l’espèce d’échelle que forment ces États plus ou moins riches en argent, ceux dont la situation est la plus heureuse, la plus près de l’état de pleine prospérité, sont ceux où l’abondance et la valeur de l’argent sont dans le degré mitoyen où les porterait l’équilibre parfait, si l’argent pouvait à la longue se trouver universellement répandu sur toute la terre à proportion de la somme des productions annuelles de chaque canton. Le cours naturel que le commerce donne