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signe, le pays le plus riche n’est-il pas celui où il y a le plus de travail ? N’est-il pas celui où les habitants plus nombreux se procurent les uns aux autres de l’emploi ?

III. Un pays mal peuplé a-t-il jamais été riche ? Uri paya bien peuplé a-t-il jamais été pauvre ?

IV. La province de Hollande n’est-elle pas environ la moitié moins grande que le comté de Devon ? N’a-t-elle pas dix fois plus d’habitants et au moins vingt fois plus de richesses ? Ne suffit-elle pas à des subsides plus forts pour les besoins publics ? N’est-elle pas en état d’entretenir des flottes et des armées plus considérables[1] ?

V. Quand est-ce que la balance du commerce penche en faveur d’une nation contre une autre ? S’il y a en France ou en Suède quarante mille personnes employées à des ouvrages destinés pour l’Angleterre, et dix mille seulement en Angleterre qui travaillent pour la France ou la Suède, à laquelle de ces nations la balance sera-t-elle avantageuse ? Si l’on avoue que la France et la Suède ont sur nous l’avantage de la balance, n’est-il pas de l’intérêt de l’Angleterre d’attirer chez elle et d’enlever à ces deux royaumes cet excédant de manufacturiers qui fait leur supériorité ?

Quel est le meilleur moyen d’affaiblir les États voisins dont la puissance et l’industrie nous font ombrage ? Est-ce de forcer leurs

  1. Les sentiments du feu prince d’Orange sur ce sujet méritent beaucoup d’attention, tant par l’autorité de sa personne que par la solidité de ses raisons, dans le traité intitulé : Propositions faites aux États généraux pour relever et réformer le commerce de la république. Il observe (pages 12 et 15) que, parmi les causes morales et politiques de l’établissement et de l’avancement du commerce, la principale a été « la maxime inaltérable et la loi fondamentale d’accorder un libre exercice à toutes les religions ; cette tolérance a paru, de tous les moyens, le plus efficace pour engager les étrangers à s’établir et à se fixer dans ces provinces ; et dès lors le plus puissant ressort de la population, la politique constante de la république, a été de faire de la Hollande un asile assuré et toujours ouvert pour tous les étrangers persécutés et opprimés : jamais ni alliance, ni traités, ni égards, ni sollicitations de quelque puissance que ce soit, n’ont pu affaiblir ou détruire ce principe, ou détourner l’État de protéger ceux qui sont venus s’y réfugier pour y trouver leur sûreté.

    « Pendant le cours des persécutions exercées dans les différents pays de l’Europe, l’attachement invariable de la république à cette loi fondamentale a fait qu’une foule d’étrangers s’y sont non-seulement réfugiés eux-mêmes avec tous leurs fonds en argent comptant et leurs meilleurs effets, mais qu’ils ont encore introduit et fixé dans le pays différentes fabriques, manufactures, arts et sciences, qu’on n’y connaissait pas, quoique les matières nécessaires pour ces manufactures manquassent entièrement en Hollande, et qu’on ne peut les faire venir des pays étrangers qu’avec de grandes dépenses. » (Note de l’auteur.)