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Le chevalier Josias Child n’a-t-il pas traité d’erreur populaire cette idée, que nous avons plus de mains que nous n’en pouvons employer ? Était-ce un bon juge en matière de commerce ? Et n’est-ce pas une maxime incontestable que le travail d’un homme donne de l’ouvrage à un autre homme[1] ?

Section VI. — Faux prétexte : Commençons par trouver de l’emploi pour ces étrangers avant de les appeler. — Réponse.

I. Dans quel pays a-t-on jamais naturalisé ou pu naturaliser des étrangers sur un semblable plan ? Et sur quel autre objet voudrait-on écouter de pareils raisonnements ?

II. S’il fallait s’être aperçu d’un vide dans quelques professions, et d’un vide qui ne se remplirait pas avant de permettre aux étrangers de s’établir parmi nous, quel métier ceux-ci trouveraient-ils à faire ? Et quels acheteurs voudraient attendre si longtemps ?

III. Des jeunes gens ne se mettent-ils pas tous les jours apprentis boulangers, bouchers, tailleurs, etc. ? Ne s’établissent-ils qu’après s’être aperçus de quelque vide dans le commerce ? Ou bien serait-il possible qu’un homme, lorsqu’il manque de pain, de viande ou d’habits, attendît que les apprentis eussent fini leur temps et levé boutique pour leur compte ?

IV. Quel vide éprouve-t-on actuellement en Hollande ? Si cependant quarante mille étrangers se présentaient pour s’y fixer, croit-on que leurs offres fussent rejetées ?

V. La quantité du travail et les occasions d’emploi ne sont-elles pas en proportion de la quantité du peuple ? Si donc il n’y avait dans cette île que dix mille habitants, n’y en aurait-il pas encore quelques-uns qui manqueraient d’ouvrage ? N’est-ce pas là précisément le cas où sont les sauvages de l’Amérique, auxquels nous ressemblerions alors à cet égard ?

VI. Si tandis que nous n’aurions que dix mille habitants, plusieurs manquaient d’un emploi constant et régulier, serait-ce une raison pour ne pas appeler parmi nous des étrangers ? Ou si ce manque

  1. Le travail ou labeur, du mot latin labor, n’est à proprement parler que l’emploi des forces musculaires de l’homme ; et cet acte, considéré en lui-même, n’est de nature à donner de l’ouvrage à personne. Ce qui donne de l’ouvrage à autrui, c’est l’épargne faite sur le produit du travail, ou le capital. Il est toujours à propos d’observer avec précision la nature des phénomènes économiques. (Voyez la note de la page précédente, (E. D.)