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jeu nous le prouvent d’une manière trop claire et trop funeste[1] ?

II. Si pour découvrir les causes du manque d’emploi des hommes, il ne faut pas commencer par chercher les causes qui embarrassent la circulation du travail ?

III. Si un État mal peuplé est aussi favorable à la circulation du travail qu’un État rempli d’habitants qui se donnent les uns aux autres un emploi réciproque[2], et s’il n’est pas au contraire bien remarquable que ce sont précisément les habitants des provinces les plus désertes qui vont chercher au loin, chez les peuples les plus nombreux, l’ouvrage et l’emploi dont ils manquent dans leurs propres pays[3] ?

IV. Si les monopoles, les privilèges exclusifs, les jurandes ne sont pas autant d’obstacles à la circulation du travail[4] ?

V. Si les besoins artificiels des hommes[5], habilement mis en

  1. J.-B. Say a développé cette pensée dans ces termes : « On est trop porté à prendre ce mot (celui de circulation) en bonne part et sans se rendre raison de ce qu’il signifie. Dans l’économie des nations, ce qu’on entend par le mot de circulation est le passage de la monnaie ou des marchandises d’une main dans une autre par voie d’échange. On s’imagine que le corps social a d’autant plus de vie et de santé que la circulation des valeurs est plus rapide et plus générale : oui, quand cette circulation sert à la confection des produits ; non, quand elle n’ajoute à l’objet qui circule aucune utilité, aucune valeur nouvelle… Une telle circulation est celle qui s’opère sur les fonds publics. Semblable à celle des jetons sur une table de jeu, elle ne procure aucun gain sans causer une perte équivalente ; et les intérêts des capitaux qu’on y emploie sont une perte pour les capitalistes et pour les industrieux, dont ils pouvaient favoriser les conceptions et l’activité. » (Cours d’économie politique, tome II, p. 438.)
    C’est qu’en effet la circulation de la bourse n’a rien de commun avec celle du travail, dont parle Tucker. (E. D.)
  2. Il ne suffit pas que les habitants d’un État soient nombreux pour se donner les uns aux autres un emploi réciproque : il faut, de plus, des capitaux qui mettent le travail en mouvement ; et Tucker s’écarte souvent du vrai, faute d’avoir bien saisi ce principe (E. D.)
  3. Le fait est exact, mais il ne provient pas de la cause que lui assigne l’auteur : on émigre des pays mal peuplés, non parce que la population y est rare, mais parce que les capitaux manquent au travail. (E. D.)
  4. Voyez Adam Smith, volume Ier, p. 176, tome V de cette Collection.
  5. Les besoins naturels de l’humanité ne peuvent être qu’en petit nombre ; la nourriture, le vêtement, un abri contre les injures de l’air, voilà des choses fort simples sur lesquelles les hommes les moins industrieux peuvent, en général, se procurer tout ce que la vie animale exige. Mais comme les hommes, dans cet état, n’auraient pas été fort éloignés de celui des brutes, la plus grande partie des obligations morales, qui forment l’essence de la vertu sociale et de nos devoirs respectifs, y aurait été inconnue. Si donc il entre dans les vues sages de la Providence qu’il y ait un rapport réel et une subordination entre les différents membres de la société, il doit