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et cela parce qu’il faut soustraire de l’avantage que donne cette diminution, les frais du transport des denrées et des marchandises au lieu désigné pour la foire, le changement de séjour, les loyers des places de foires enchéris encore par le monopole des propriétaires, enfin le risque de ne pas vendre dans un espace de temps assez court, et d’avoir fait un long voyage en pure perte : or, il faut toujours que la marchandise paye tous ces frais et ces risques. Il s’en faut donc beaucoup que le sacrifice des droits du prince soit aussi utile au commerce par les exemptions momentanées et locales, qu’il le serait par une modération légère sur la totalité des droits ; il s’en faut beaucoup que la consommation extraordinaire augmente autant par l’exemption particulière, que la consommation journalière diminue par la surcharge habituelle. Ajoutons qu’il n’y a point d’exemption particulière qui ne donne lieu à des fraudes pour en profiter, à des gênes nouvelles, à des multiplications de commis et d’inspecteurs pour empêcher ces fraudes, à des peines pour les punir ; autre perte d’argent et d’hommes pour l’État.

Concluons que les grandes foires ne sont jamais aussi utiles que la gêne qu’elles supposent est nuisible, et que bien loin d’être la preuve de l’état florissant du commerce, elles ne peuvent exister au contraire que dans des États où le commerce est gêné, surchargé de droits, et par conséquent médiocre[1].

  1. Un complément curieux de l’article qui précède est une ordonnance de Philippe de Valois, du 6 août 1349, qui réorganise les foires de Brie et de Champagne, ruinées depuis cinquante ans par les atteintes que le fisc avait portées à leurs privilèges.

    Par l’article 6 de cette ordonnance, les drapiers et marchands des dix-sept villes sont tenus de se rendre auxdites foires, et ne peuvent vendre leurs marchandises en gros ou en détail pour être transportées hors du royaume, qu’après s’être soumis à cette obligation. — Par l’article 45, le roi, prenant en considération le préjudice que les marchands pourraient éprouver du changement des monnaies, les autorise à stipuler, dans leurs conventions, que les payements seront faits à la valeur de l’or et de l’argent au temps du contrat, lesquelles stipulations seront exécutées nonobstant toutes ordonnances contraires. — Par l’article 19, défense est faite, sous peine de confiscation de corps et de biens, de percevoir plus de quinze pour cent par an, à titre d’intérêt ou de change ; et, par l’article 21, de joindre l’intérêt au principal en cas de renouvellement des lettres de créance.

    Enfin, cette même ordonnance nous apprend encore que toutes les contestations étaient portées en première instance devant les gardes des foires ; en appel, devant la Cour des foires ; et que le corps des épiciers et des drapiers nommait des commissaires investis du droit de vérifier la qualité des denrées et la bonne confection des marchandises. (E. D.)