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sement d’un marché à ces mêmes jours, parce que les marchands ont toujours intérêt à chercher les acheteurs, et réciproquement.

Mais il ne faut qu’une distance assez médiocre pour que cet intérêt, et le bon marché produit par la concurrence, soient contrebalancés par les frais de voyage et de transport des denrées. Ce n’est donc point au cours naturel d’un commerce animé par la liberté, qu’il faut attribuer ces foires brillantes où les productions d’une partie de l’Europe se rassemblent à grands frais, et qui semblent être le rendez-vous des nations. L’intérêt qui doit compenser ces frais exorbitants ne vient point de la nature des choses, mais il résulte des privilèges et des franchises accordés au commerce en certains lieux et en certains temps, tandis qu’il est accablé partout ailleurs de taxes et de droits. Il n’est pas étonnant que l’état de gêne et de vexation habituelle sous lequel le commerce a gémi si longtemps dans toute l’Europe, en ait déterminé le cours avec violence vers les lieux où on lui offrait un peu plus de liberté. C’est ainsi que les princes, en accordant des exemptions de droits, ont produit tant de foires dans les différentes parties de l’Europe, et il est évident que ces foires doivent être d’autant plus considérables, que le commerce dans les temps ordinaires est plus surchargé de droits.

Une foire et un marché sont donc l’un et l’autre un concours de marchands et d’acheteurs dans des lieux et des temps marqués ; mais pour les marchés, c’est l’intérêt réciproque que les acheteurs et les vendeurs ont de se chercher qui les réunit, et pour les foires, c’est le désir de jouir de certains privilèges : d’où suit qu’il doit être bien plus nombreux et bien plus solennel dans les foires. — Quoique le cours naturel du commerce suffise pour établir des marchés, il est arrivé, par une suite de ce malheureux principe qui dans presque tous les gouvernements a si longtemps infecté l’administration du commerce, je veux dire la manie de tout conduire, de tout régler et de ne jamais s’en rapporter aux hommes sur leur propre intérêt ; il est arrivé, dis-je, que pour établir des marchés on a fait intervenir la police ; qu’on en a borné le nombre sous prétexte d’empêcher qu’ils ne se nuisissent les uns aux autres ; qu’on a défendu de vendre certaines marchandises ailleurs que dans certains lieux désignés, soit pour la commodité des commis chargés de recevoir les droits dont elles sont grevées, soit parce qu’on a voulu les assujettir à des formalités de visite et de marque, et qu’on ne peut mettre