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diminution de frais fera préférer le marchand établi dans ce village à ceux qui seraient tentés de s’établir dans l’un des deux autres. Mais plusieurs espèces de denrées seront vraisemblablement dans le même cas, et les marchands de chacune de ces denrées se réuniront dans le même lieu par la même raison de la diminution des frais, et parce qu’un homme qui a besoin de deux espèces de denrées aime mieux ne faire qu’un voyage pour se les procurer que d’en faire deux : c’est réellement comme s’il payait chaque marchandise moins cher. Le lieu devenu considérable par cette réunion même des différents commerces, le devient de plus en plus, parce que tous les artisans que le genre de leur travail ne retient pas à la campagne et tous les hommes à qui leur richesse permet d’être oisifs, s’y rassemblent pour y chercher les commodités de la vie. La concurrence des acheteurs attire les marchands par l’espérance de vendre ; il s’en établit plusieurs pour la même denrée. La concurrence des marchands attire les acheteurs par l’espérance du bon marché, et toutes deux continuent à s’augmenter mutuellement jusqu’à ce que le désavantage de la distance compense pour les acheteurs éloignés le bon marché de la denrée produit par la concurrence, et même ce que l’usage et la force de l’habitude ajoutent à l’attrait du bon marché. Ainsi se forment naturellement différents centres de commerce ou marchés, auxquels répondent autant de cantons ou d’arrondissements plus ou moins étendus, suivant la nature des denrées, la facilité plus ou moins grande des communications, et l’état de la population plus ou moins nombreuse. Et telle est, pour le dire en passant, la première et la plus commune origine des bourgades et des villes.

La même raison de commodité qui détermine le concours des marchands et des acheteurs à certains lieux, le détermine aussi à certains jours, lorsque les denrées sont trop viles pour soutenir de longs transports, et que le canton n’est pas assez peuplé pour fournir à un concours suffisant et journalier. Ces jours se fixent par une espèce de convention tacite, et la moindre circonstance suffit pour cela. Le nombre des journées de chemin entre les lieux les plus considérables des environs, combiné avec certaines époques qui déterminent le départ des voyageurs, telles que le voisinage de certaines fêtes, certaines échéances d’usage dans les payements, toutes sortes de solennités périodiques, enfin tout ce qui rassemble à certains jours un certain nombre d’hommes, devient le principe de l’établis-