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Sans doute, à prendre le mot de système dans le sens populaire, M. de Gournay en avait un, puisqu’il avait une opinion et y était fortement attaché ; ses adversaires étaient tous autant que lui des gens à système, puisqu’ils soutenaient une opinion contraire à la sienne.

Mais, si l’on prend le mot de système dans le sens philosophique que j’ai développé le premier, personne n’en a été plus éloigné que lui, et il aurait eu bien plutôt le droit de rejeter ce reproche sur les principes qu’il combattait, puisque toute sa doctrine se fondait sur l’impossibilité absolue de diriger par des règles constantes et par une inspection continuelle une multitude d’opérations que leur immensité seule empêcherait de connaître, et qui de plus dépendent continuellement d’une foule de circonstances toujours changeantes, qu’on ne peut ni maîtriser ni même prévoir ; et puisqu’il voulait en conséquence que l’administration n’entreprît pas de conduire tous les hommes par la lisière, et ne présumât pas le pouvoir ; mais qu’elle les laissât marcher, et qu’elle comptât plus sur le ressort naturel de l’intérêt que sur la contrainte extérieure et artificielle de règlements toujours arbitraires dans leur composition, souvent dans leur application. Si l’arbitraire et la manie de plier les choses à ses idées, et non pas ses idées aux choses, sont la marque caractéristique de l’esprit de système, ce n’était assurément pas M. de Gournay qui était homme à système.

Il l’était encore moins par un attachement opiniâtre à ses idées. La douceur avec laquelle il les soutenait prouve bien qu’il n’y mettait aucun amour-propre, et qu’il ne les défendait que comme citoyen. On peut même dire que peu de gens ont été aussi parfaitement libres que lui de cette espèce de vanité qui ferme l’accès aux vérités nouvelles. Il cherchait à s’instruire comme s’il n’avait rien su, et se prêtait à l’examen de toute assertion, comme s’il n’avait eu aucune opinion contraire.

Il faut dire encore que ce prétendu système de M. de Gournay a cela de particulier, que les principes généraux en sont à peu près adoptés par tout le monde ; que de tout temps le vœu du commerce chez toutes les nations a été renfermé dans ces deux mots : liberté et protection, mais surtout liberté. On sait le mot de M. Le Gendre à M. Golbert : laissez-nous faire. M. de Gournay ne différait souvent des gens qui le traitaient d’homme à système, qu’en ce qu’il se refu-