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toujours sans prévention, était toujours prêt à recevoir de nouvelles lumières ; il a quelquefois changé d’avis sur des matières importantes, et il ne paraissait pas que son ancienne opinion eût retardé le moins du monde l’impression subite que la vérité offerte faisait naturellement sur un esprit aussi juste que le sien.

Il eut le bonheur de rencontrer dans M. Trudaine, qui était dès lors à la tête de l’administration du commerce, le même amour de la vérité et du bien public qui l’animait ; comme il n’avait encore développé ses principes que par occasion, dans la discussion des affaires ou dans la conversation, M. Trudaine l’engagea à donner comme une espèce de corps de sa doctrine ; et c’est dans cette vue qu’il a traduit, en 1752, les traités sur le commerce et sur l’intérêt de l’argent, de Josias Child et de Thomas Culpeper. Il y joignit une grande quantité de remarques intéressantes, dans lesquelles il approfondit et discuta les principes du texte, et les éclaircit par des applications aux questions les plus importantes du commerce. Ces remarques formaient un ouvrage aussi considérable que celui des auteurs anglais, et M. de Gournay comptait les faire imprimer ensemble ; il n’a cependant fait imprimer que le texte, en 1754 : des raisons, qui ne subsistent plus, s’opposaient alors à l’impression du commentaire[1].

La réputation de M. de Gournay s’établissait et son zèle se communiquait. C’est à la chaleur avec laquelle il cherchait à tourner du côté de l’étude du commerce et de l’économie politique tous les talents qu’il pouvait connaître, et à la facilité avec laquelle il communiquait toutes les lumières qu’il avait acquises, qu’on doit attribuer cette heureuse fermentation qui s’est excitée depuis quelques années sur ces objets importants ; fermentation qui a éclaté deux ou trois ans après que M. de Gournay a été intendant du commerce, et qui depuis ce temps nous a déjà procuré plusieurs ouvrages remplis de recherches laborieuses et de vues profondes, qui ont lavé notre nation du reproche de frivolité qu’elle n’avait que trop encouru par son indifférence pour les études les plus véritablement utiles. M. de Gournay, malgré les contradictions qu’il essuyait, goûtait souvent la satisfaction de réussir à déraciner une partie des abus qu’il attaquait, et surtout celle d’affaiblir l’autorité de ces anciens principes, dont on était déjà obligé d’adoucir la rigueur et de res-

  1. Nous ne connaissons aucune édition de ces commentaires. (E. D.)