Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le défendre contre les entreprises de la finance. Il aurait souhaité que les besoins de l’État eussent permis de libérer le commerce de toutes sortes de droits. Il croyait qu’une nation, assez heureuse pour être parvenue à ce point, attirerait nécessairement à elle la plus grande partie du commerce de l’Europe ; il pensait que tous les impôts, de quelque genre qu’ils soient, sont, en dernière analyse, toujours payés par le propriétaire, qui vend d’autant moins les produits de sa terre, et que si tous les impôts étaient répartis sur les fonds, les propriétaires et le royaume y gagneraient tout ce qu’absorbent les frais de régie, toute la consommation ou l’emploi stérile des hommes perdus, soit à percevoir les impôts, soit à faire la contrebande, soit à l’empêcher, sans compter la prodigieuse augmentation des richesses et des valeurs résultant de l’augmentation du commerce[1].

Il est aussi quelques obstacles aux progrès de l’industrie, qui viennent de nos mœurs, de nos préjugés, de quelques-unes de nos lois civiles ; mais les deux plus funestes sont ceux dont j’ai parlé, et les autres entraîneraient trop de détails. — Au reste, M. de Gournay ne prétendait pas tellement borner les soins de l’administration, en matière de commerce, à celui d’en maintenir la liberté et d’écarter les obstacles qui s’opposent aux progrès de l’industrie, qu’il ne fut très-convaincu de l’utilité des encouragements à donner à l’industrie, soit en récompensant les auteurs des découvertes utiles, soit en excitant l’émulation des artistes pour la perfection, par des prix et des gratifications. Il savait que lors même que l’industrie jouit de la plus grande liberté, ces moyens sont souvent utiles pour hâter sa marche naturelle, et qu’ils sont surtout nécessaires lorsque la crainte des gênes n’est pas tout à fait dissipée et ralentit encore son essor. Mais il ne pouvait approuver que ces encouragements pussent en aucun cas nuire à de nouveaux progrès par des prohibitions ou des avantages exclusifs ; il ne se prêtait qu’avec beaucoup de réserve aux avances faites par le gouvernement, et préférait les autres encouragements, les gratifications accordées à proportion de la production et les prix proposés à la perfection du travail, enfin les marques

  1. Puisque Gournay admettait le système des physiocrates sur l’impôt, il est évident que sa doctrine ne différait de celle de Quesnay qu’en ce qu’il considérait l’industrie comme productive. Mais n’était-ce pas alors une contradiction, évitée par le médecin de Louis XV, que de réclamer pour elle l’exemption des charges publiques ? (E. D.)