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Il suit de cette discussion que, sous tous les points de vue par lesquels le commerce peut intéresser l’État, l’intérêt particulier abandonné à lui-même produira toujours plus sûrement le bien général que les opérations du gouvernement, toujours fautives et nécessairement dirigées par une théorie vague et incertaine[1].

M. de Gournay en concluait que le seul but que dût se proposer l’administration était, 1o  de rendre à toutes les branches du commerce cette liberté précieuse que les préjugés des siècles d’ignorance, la facilité du gouvernement à se prêter à des intérêts particuliers, le désir d’une perfection mal entendue, leur ont fait perdre ; 2o  de faciliter le travail à tous les membres de l’État, afin d’exciter la plus grande concurrence dans la vente, d’où résulteront nécessairement la plus grande perfection dans la fabrication et le prix le plus avantageux à l’acheteur ; 3o  de donner en même temps à celui-ci le plus grand nombre de concurrents possibles, en ouvrant au vendeur tous les débouchés de sa denrée, seul moyen d’assurer au travail sa récompense, et de perpétuer la production, qui n’a d’autre objet que cette récompense.

L’administration doit se proposer en outre d’écarter les obstacles qui retardent les progrès de l’industrie en diminuant l’étendue ou la certitude de ses profits. M. de Gournay mettait à la tête de ces obstacles le haut intérêt de l’argent, qui, offrant à tous les possesseurs de capitaux la facilité de vivre sans travailler, encourage le luxe et l’oisiveté, retire du commerce et rend stériles pour l’État les richesses et l’industrie d’une foule de citoyens ; qui exclut la nation de toutes les branches de commerce dont le produit n’est pas d’un ou deux pour cent au-dessus du taux actuel de l’intérêt ; qui, par conséquent, donne aux étrangers le privilège exclusif de toutes ces branches de commerce, et la facilité d’obtenir sur nous la préférence dans presque tous les autres pays, en baissant les prix plus que nous ne pouvons faire ; qui donne aux habitants de nos colonies un intérêt puissant de faire la contrebande avec l’étranger, et par là diminue l’affection naturelle qu’ils doivent avoir pour la métropole ; qui seul assurerait aux Hollandais et aux villes anséatiques le commerce de cabotage dans toute l’Europe et sur nos propres côtes ; qui nous rend

  1. « Que les lois, dit l’auteur de la Richesse des nations, veuillent bien s’en rapporter à nous du soin de nos propres intérêts : pour en bien juger, nous sommes mieux placés que le législateur. » (Livre IV, chapitre v.) (E. D.)