Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui la fait produire à sa terre ou qui la fabrique ; ainsi, la valeur vénale de chaque denrée, tous frais déduits, est la seule règle pour juger de l’avantage que retire l’État d’une certaine espèce de productions ; par conséquent, toute manufacture dont la valeur vénale ne dédommage pas avec profit des frais qu’elle exige, n’est d’aucun avantage, et les sommes employées à la soutenir malgré le cours naturel du commerce sont un impôt mis sur la nation en pure perte[1].

Il est inutile de prouver que chaque particulier est le seul juge compétent de cet emploi le plus avantageux de sa terre et de ses bras. Il a seul les connaissances locales sans lesquelles l’homme le plus éclairé n’en raisonne qu’à l’aveugle. Il a seul une expérience d’autant plus sûre qu’elle est bornée à un seul objet. Il s’instruit par des essais réitérés, par ses succès, par ses pertes, et acquiert un tact dont la finesse, aiguisée par le sentiment du besoin, passe de bien loin toute la théorie du spéculateur indifférent.

Si l’on objecte qu’indépendamment de la valeur vénale, l’État peut avoir encore un intérêt d’être le moins qu’il est possible dans la dépendance des autres nations pour les denrées de première nécessité : 1o on prouvera seulement que la liberté de l’industrie et la liberté du commerce des productions de la terre étant l’une et l’autre très-précieuses, la liberté du commerce des productions de la terre est encore plus essentielle ; 2o il sera toujours vrai que la plus grande richesse et la plus grande population donneront à l’État en question le moyen d’assurer son indépendance d’une manière bien plus solide. — Au reste, cet article est de pure spéculation ; un grand État produit toujours de tout, et à l’égard d’un petit, une mauvaise récolte ferait bientôt écrouler ce beau système d’indépendance.

Quant au troisième objet, qui peut intéresser l’État à double titre, et comme protecteur des particuliers auxquels il doit faciliter les moyens de se procurer par le travail une subsistance aisée, et comme corps politique intéressé à prévenir les troubles intérieurs que la disette pourrait occasionner, cette matière a été si clairement développée dans l’ouvrage de M. Herbert, et dans l’article Grains, de M. Quesnay, que je m’abstiens d’en parler ici, M. Marmontel connaissant à fond ces deux ouvrages,

  1. J.-B. Say n’a pas résumé d’autres considérations quand il a dit que fabriquer n’était pas toujours produire. (E. D.)