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bourrelets à tous les enfants qui pourraient tomber. Prétendre réussir à prévenir par des règlements toutes les malversations possibles en ce genre, c’est sacrifier à une perfection chimérique tous les progrès de l’industrie ; c’est resserrer l’imagination des artistes dans les limites étroites de ce qui se fait ; c’est leur interdire toutes les tentatives nouvelles ; c’est renoncer même à l’espérance de concourir avec les étrangers dans la fabrication des étoffes nouvelles qu’ils inventent journellement, puisque n’étant point conformes aux règlements, les ouvriers ne peuvent les imiter qu’après en avoir obtenu la permission du gouvernement, c’est-à-dire, souvent, lorsque les fabriques étrangères, après avoir profité du premier empressement des consommateurs pour cette nouveauté, l’ont déjà remplacée par une autre. C’est oublier que l’exécution de ces règlements est toujours confiée à des hommes qui peuvent avoir d’autant plus d’intérêt à frauder ou à concourir à la fraude, que celle qu’ils commettraient serait couverte en quelque sorte par le sceau de l’autorité publique et par la confiance qu’elle inspire au consommateur. C’est oublier aussi que ces règlements, ces inspecteurs, ces bureaux de marque et de visite entraînent toujours des frais ; que ces frais sont toujours prélevés sur la marchandise, et par conséquent surchargent le consommateur national, éloignent le consommateur étranger ; qu’ainsi par une injustice palpable on fait porter au commerce, et par conséquent à la nation, un impôt onéreux pour dispenser un petit nombre d’oisifs de s’instruire ou de consulter afin de n’être pas trompés ; que c’est, en supposant tous les consommateurs dupes et tous les marchands et fabricants fripons, les autoriser à l’être, et avilir toute la partie laborieuse de la nation.

Quant au second objet du gouvernement, qui consiste à procurer à la nation la plus grande masse possible de richesses, n’est-il pas évident que l’État n’ayant de richesses réelles que les produits annuels de ses terres et de l’industrie de ses habitants[1], sa richesse

  1. Deux remarques sont à faire sur ce passage.
    La première, c’est que l’expression, si familière à Ad. Smith pour désigner la richesse, le produit annuel de la terre et du travail, se trouve ici presque littéralement sous la plume de Turgot ;
    La seconde, qu’elle constitue cependant une contradiction de la part de cet écrivain, puisqu’il partageait l’opinion des physiocrates, que la terre seule était productive.
    On verra un peu plus loin qu’il semble s’être aperçu de cette erreur, et qu’il a pris à tâche de mettre son langage en harmonie avec sa doctrine. (E. D.)