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tés par l’esprit de monopole, dont tout l’objet est de décourager l’industrie, de concentrer le commerce dans un petit nombre de mains par la multiplication des formalités et des frais, par l’assujettissement à des apprentissages et des compagnonnages de dix ans, pour des métiers qu’on peut savoir en dix jours ; par l’exclusion de ceux qui ne sont pas fils de maîtres, de ceux qui sont nés hors de certaines limites, par la défense d’employer les femmes à la fabrication des étoffes, etc., etc.

Il n’avait pas imaginé que dans un royaume soumis au même prince, toutes les villes se regarderaient mutuellement comme ennemies, s’arrogeraient le droit d’interdire le travail dans leur enceinte à des Français désignés sous le nom d’étrangers, de s’opposer à la vente et au passage libre des denrées d’une province voisine, de combattre ainsi, pour un intérêt léger, l’intérêt général de l’État, etc., etc.

Il n’était pas moins étonné de voir le gouvernement s’occuper de régler le cours de chaque denrée, proscrire un genre d’industrie pour en faire fleurir un autre, assujettir à des gênes particulières la vente des provisions les plus nécessaires à la vie, défendre de faire des magasins d’une denrée dont la récolte varie tous les ans et dont la consommation est toujours à peu près égale ; défendre la sortie d’une denrée sujette à tomber dans l’avilissement, et croire s’assurer l’abondance du blé en rendant la condition du laboureur plus incertaine et plus malheureuse que celle de tous les autres citoyens, etc.[1].

M. de Gournay n’ignorait pas que plusieurs des abus auxquels il s’opposait avaient été autrefois établis dans une grande partie de l’Europe, et qu’il en restait même encore des vestiges en Angle-

  1. Il nous paraît juste de rappeler ici que c’est à Vauban et à Boisguillebert que revient l’honneur des premiers efforts en faveur du principe de la liberté commerciale. On peut dire que la fiscalité, sous le rapport des entraves dont elle charge la circulation des produits, n’eut jamais d’ennemis plus ardents que ces deux écrivains, et que le dernier surtout. Le buste de Boisguillebert devrait être dans le lieu de réunion de toutes les Sociétés agricoles, car c’est de sa plume que sont sortis les premiers plaidoyers pour la libre circulation des grains, et il avait même signalé scientifiquement, avant les physiocrates, l’excellence de l’agriculture. Il a écrit enfin sur la nature, la production et la distribution de la richesse, ainsi que sur la fonction de la monnaie, des pages qui ne permettent pas de révoquer en doute que l’école de Quesnay n’ait tiré autant de parti de ses travaux que, plus tard, Ad. Smith en tira de ceux de cette école à son tour. (E. D.)