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terres ; que le territoire national appartient à ces propriétaires, puisqu’ils l’ont mis en valeur par leurs avances et leur travail, ou bien l’ont soit hérité, soit acheté de ceux qui l’avaient acquis ainsi, et que chacun d’eux est en droit d’en revendre sa part ; que les propriétaires des terres sont nécessairement citoyens, et qu’il n’y a qu’eux qui le soient nécessairement ; que la culture, que le travail, que les fabriques, que le commerce doivent être libres, tant à raison du respect qui est dû aux droits particuliers, naturels et politiques de leurs agents, qu’à cause de la grande utilité publique de cette liberté ; que l’on ne saurait y apporter aucune gêne qui ne soit nuisible à l’équitable et avantageuse distribution, de même qu’à la production des subsistances et des matières premières, partant à celle des richesses ; et qu’on ne peut nuire à la production qu’au préjudice de la population, à celui des finances, à celui de la puissance de l’État.

Dans ces derniers temps, quelques employés inférieurs de douanes, et quelques écrivains qui n’avaient pris aucune idée de cette doctrine, qui n’ont fait aucune des études préliminaires par lesquelles ils auraient pu se mettre à portée de l’approuver ou de la blâmer avec quelque apparence de raison, en ont parlé hardiment, comme si elle n’eût été qu’un tissu de rêveries, ouvrage de quelques esprits imaginaires, sans connaissance des faits, sans expérience.

Ces censeurs orgueilleux ne savaient ni de qui, ni de quoi il était question.

Il leur sera difficile de contester à Sully, à M. d’Argenson, à MM. Trudaine père et fils, à M. de Gournay, à M. d’Invau, à M. Berlin, à M. de Malesherbes, à M. Turgot, à M. de Fourqueux, à MM. de Boisgelin et de Cicé, à M. Tavanti, à mylord Lansdown, à S. A. R. le grand-duc de Bade, aux empereurs Léopold et Joseph, d’avoir administré longtemps et avec succès de grandes affaires publiques, la plupart d’entre eux aidés aussi par les lumières des autres économistes.

Les principes de ces hommes d’État ont influé sur le commerce et l’agriculture en France pendant environ trente ans ; et, si l’on veut en connaître l’effet, on apprendra qu’à la paix de 1763 les dénombrements les mieux faits par MM. l’abbé Expilly, de Messance et de La Michaudière, n’indiquaient pas que la population du royaume fût alors au-dessus de 22,500,000 âmes ; et qu’en 1791, quoiqu’il y eût eu cinq années de guerre, et dans les dépenses moins d’économie qu’il n’aurait été à désirer, et quoique la révolution eût déjà causé des émigrations et des malheurs, la population s’élevait à plus de 27 millions. — Un tel résultat n’a rien de funeste.

Il ne faut pas croire qu’aujourd’hui les principes qui l’ont produit soient oubliés.

Quand on voit le gouvernement parler avec éloge de l’agriculture ; lui faire espérer les plus honorables distinctions ; appeler les propriétaires aux collèges électoraux ; encourager l’importation des arbres étrangers et le repeuplement des forêts nationales ; multiplier les mérinos ; abolir les droits de passe ; faciliter par des canaux navigables les communications du commerce ; établir des entrepôts d’où les marchandises peuvent ressortir presque entièrement exemptes de droits, ou rester quelque temps sans les acquitter ; et vouloir, avec l’énergie qui le caractérise, la liberté des mers ; il n’y aurait qu’une ignorance ingrate qui pût refuser de rendre hommage à sa sagesse, et ne le point remercier de mettre en pratique un si grand nombre de maximes de cette science utile et nouvelle, née dans notre pays, et qui n’a jamais pu être calomniée que par ceux qui ne la connaissaient pas.

Que répondre à leurs vains discours ? — Ce sont des gens totalement dénués d’expérience, de logique et de l’esprit d’administration, qui réclament contre une grande et favorable expérience, encore suivie, vérifiée pendant trente ans, acquise durant un demi-siècle, en France et chez l’étranger, par vingt administrateurs, qui ont rempli avec gloire les postes les plus éminents. (Dupont de Nemours.)