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minution relative de ses frais, tenaient principalement à la force des capitaux qu’on y pouvait consacrer, et à ce que ces grandes avances fussent administrées par des hommes capables, qui sussent les employer, selon les localités, à l’acquisition et à la perfection des instruments, à la réunion et à la direction des eaux, à l’éducation des bestiaux de bonne race, à la multiplication des plantations, des prairies, des engrais.

Il en conclut qu’il ne fallait pas envier aux cultivateurs l’aisance qui leur est nécessaire, et qui les met à portée d’acquérir de l’instruction ; qu’il fallait désirer que cette aisance s’accrût, et s’en occuper comme de l’un des plus précieux intérêts de l’État. — Il fit cette maxime : Pauvres paysans, pauvre royaume ; pauvre royaume, pauvre souverain ! Et il eut le bonheur de parvenir à la faire imprimer à Versailles de la main même de Louis XV.

Les deux aspects sous lesquels M. Quesnay et M. de Gournay avaient considéré les principes de l’administration publique, et dont ils inféraient exactement la même théorie, ont formé, si l’on peut ainsi dire, deux écoles, fraternelles néanmoins, qui n’ont eu l’une pour l’autre aucun sentiment de jalousie, et qui se sont réciproquement éclairées.

De celle de M. de Gournay sont sortis M. de Malesherbes, M. l’abbé Morellet, M. Herbert, M. Trudaine de Montigny, M. d’Invau, M. le cardinal de Boisgelin, M. de Cicé, actuellement archevêque d’Aix, M. d’Angeul, le docteur Price, le doyen Josias Tucker, et quelques autres.

Celle de M. Quesnay a eu pour principaux membres M. le marquis de Mirabeau, auteur de l’Ami des hommes, M. Abeille, M. de Fourqueux, M. Berlin, Dupont de Nemours, M. le chancelier de Lithuanie comte Chreptowicz, MM. l’abbé Roubaud. Le Trosne, de Saint-Peravy, de Vauvilliers ; et dans un plus haut rang, monseigneur le margrave, aujourd’hui grand-duc de Bade, et l’archiduc Léopold, depuis empereur, qui a si longtemps et si heureusement gouverné la Toscane.

M. Le Mercier de La Rivière et M. l’abbé Bandeau, ayant tous deux été aussi de cette école, y ont fait une branche particulière. — Jugeant qu’il serait plus aisé de persuader un prince qu’une nation, qu’on établirait plus vite la liberté du commerce et du travail, ainsi que les vrais principes des contributions publiques, par l’autorité des souverains que par les progrès de la raison, ils ont peut-être un peu trop accordé au pouvoir absolu. Ils pensaient que les lumières générales lui fourniraient un suffisant régulateur, un contre-poids assez puissant. À cette branche appartient l’empereur Joseph II.

Entre les deux écoles, profitant de l’une et de l’autre, mais évitant avec soin de paraître tenir à aucune, se sont élevés quelques philosophes éclectiques, à la tête desquels il faut placer M. Turgot et le célèbre Adam Smith, et parmi lesquels on doit compter très-honorablement le traducteur de celui-ci, M. le sénateur Germain Garnier ; en Angleterre, mylord Lansdown ; à Paris, M. Say ; à Genève, M. Simonde. Je devrais ajouter deux, trois, quatre hommes, doués de grandes lumières et d’un grand talent, qui sont chargés en France de fonctions très-importantes ; mais je crains d’appeler contre eux les intrigues des obscurants et de blesser leur modestie.

Tous ces philosophes ont été, sont unanimes dans l’opinion que la liberté des actions qui ne nuisent à personne est établie sur le droit naturel, et doit être protégée dans tous les gouvernements ; que la propriété en général, et de toutes sortes de biens, est le fruit légitime du travail, qu’elle ne doit jamais être violée ; que la propriété foncière est le fondement de la société politique, qui n’a de membres dont les intérêts ne puissent jamais être séparés des siens que les possesseurs des