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fiance. J’aimerais mieux fonder ma sécurité sur la nécessité physique et sur la justice. Le peuple sait bien que le gouvernement n’est pas le maître des saisons, et il faut lui apprendre qu’il n’a pas le droit de violer la propriété des laboureurs et des marchands de grains. On est bien fort, même vis-à-vis de ce peuple, quand on peut lui dire : Ce que vous me demandez est une injustice. Ceux qui ne se payent pas de cette raison ne se payeront jamais d’aucune, et calomnieront toujours le gouvernement, quelque soin qu’il prenne pour les contenter ; car il ne les contentera pas, attendu qu’il lui est impossible de procurer au peuple des grains à bon marché lorsque les récoltes ont manqué, et qu’il n’a aucun moyen possible pour en procurer à un prix plus bas que celui qui résulterait de la liberté entière, c’est-à-dire de l’observation de l’exacte justice. Je suis, etc.


Quand on pense que ces sept lettres, si détaillées, si démonstratives, ont été écrites en moins d’un mois, pendant un voyage, en hiver, dans un pays de montagnes très-pauvre, où il n’y a pas un bon gîte, au milieu des neiges, en faisant les travaux de ce qu’on appelait alors le département, c’est-à-dire la répartition de l’impôt entre les élections, les subdélégations et les communes ; ayant à examiner, en visitant la province, quels travaux publics seraient nécessaires ou utiles, tant pour les communications générales qu’à raison des circonstances locales qui pouvaient exiger qu’on y plaçât des ateliers de charité, et en discuter les projets ; et cela dans un temps qui, succédant à une grande calamité, laquelle, n’étant pas même entièrement terminée, donnait lieu à une multitude de demandes et de pétitions ; enfin que tout ce travail tombait sur un magistrat scrupuleux qui n’en négligeait aucune partie, et qui n’en traitait pas avec moins de netteté et de profondeur de si hautes questions politiques, au risque de déplaire fortement au ministre qui avait déjà exprimé son opinion, on bénit le ciel, qui donne quelquefois à la terre de tels philosophes, de tels administrateurs, de tels hommes de bien.

M. l’abbé Terray rendit toute justice à ces lettres. Il donna les plus grands éloges à l’auteur. Il les indiqua à d’autres intendants comme un modèle. Mais son parti était pris, et il n’en changea point. (Note de Dupont de Nemours.)

fin des lettres sur la liberté du commerce des grains.