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velles valeurs introduites dans la masse des salaires à partager. La plus grande quantité de salaires offerts et l’aisance du peuple augmentent la population : mais cette augmentation est, suivant l’ordre de la nature, bien moins prompte que celle des productions. L’année d’après qu’un champ a été défriché, fumé, semé, il rapporte de quoi nourrir un homme ; mais avant qu’un homme soit formé, il faut vingt ans, et avant que ces vingt ans fussent écoulés, la production aurait eu le temps de s’accroître de plus en plus, si ses progrès n’étaient ralentis et restreints par les bornes de la consommation. Les ouvriers venus du dehors peuvent aussi empêcher l’augmentation des salaires : cependant les hommes tiennent par trop de liens à leur patrie, pour que cette émigration soit jamais trop forte. Mais, soit que l’augmentation du peuple vienne de l’affluence des étrangers, ou de la multiplication de l’espèce, elle sera toujours l’effet de l’aisance du peuple et la supposera toujours. Voilà donc, dans l’augmentation des valeurs amenée par la liberté, un avantage évident pour la classe des consommateurs salariés, puisqu’il existe une plus grande masse de salaires à partager, ce qui produit 1o une plus grande assurance de trouver du travail, et pour chaque travailleur un plus grand nombre de journées utiles ; 2o une augmentation effective sur le prix des salaires, par la concurrence des cultivateurs et des propriétaires qui enchériront les uns sur les autres pour attirer les travailleurs ; 3o une augmentation de population, fruit de la plus grande aisance du peuple.

J’ai peut-être trop appuyé sur ces deux premiers avantages ; quelque réels, quelque grands qu’ils soient, on doit les compter pour peu de chose en comparaison de l’utilité vraiment fondamentale qui résulte dans tous les cas de la liberté. Je parle de l’égalisation des prix, de la cessation de ces variations excessives dans la valeur vénale des grains qui les font payer au consommateur, dans un temps, à des prix triples, quadruples et quelquefois quintuples de ce qu’il les paye dans un autre. D’où il résulte que le consommateur salarié ne peut vivre de son salaire dans les temps de cherté, et que dans les temps d’abondance il manque d’occasions de travail, parce que le cultivateur et le propriétaire, appauvris par la non-valeur de la denrée, n’ont pas de quoi le faire travailler. Je vous prie de relire sur ce point ma quatrième lettre[1].

  1. Il est fâcheux que cette quatrième lettre soit perdue, car nous avouons n’être