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SEPTIÈME LETTRE.

À Limoges, le 2 décembre 1770.

Monsieur, j’ai traité, dans mes dernières lettres écrites de Saint-Angel et d’Angoulême, de l’intérêt des propriétaires et de celui des cultivateurs à la liberté du commerce des grains. H me reste, pour achever de répondre à vos objections contre cette liberté, à discuter l’intérêt des consommateurs, que vous croyez lésés par la suppression des gênes de l’ancienne police.

Pour moi, monsieur, je suis, avec beaucoup d’autres, intimement convaincu que la liberté n’est pas moins avantageuse, et qu’elle est plus nécessaire encore aux consommateurs qu’aux cultivateurs et aux propriétaires. J’ose même me flatter de vous en convaincre, si vous avez la bonté de peser attentivement mes raisons.

Pour que le consommateur vive, il faut deux choses : premièrement, que la denrée existe ; secondement, qu’elle soit à sa portée ou qu’il ait des moyens suffisants pour se la procurer. Comment donc son intérêt pourrait-il être opposé à celui du cultivateur et du propriétaire des terres, puisque c’est d’eux qu’il reçoit et la denrée et le salaire avec lequel il achète la denrée ?

La consommation suppose avant tout la production : ainsi, la subsistance des hommes n’est pas moins fondée sur la culture que le revenu des terres. Or, on ne cultive que parce qu’il y a du profit à cultiver, et si la cessation de ce profit anéantit le revenu, elle anéantit aussi la culture et la subsistance des hommes[1].

Les profits du cultivateur, partagés entre lui et le propriétaire, forment, par la dépense qu’ils en font pour se procurer les différents

  1. Si l’on ne cultivait pas pour profit, la culture ne serait pas anéantie ; on cultiverait pour la simple subsistance. L’excédant de la production sur la consommation est la source du salaire, cela est évident ; car il n’y aurait pas d’ouvriers s’ils n’avaient rien à manger. Mais il ne s’ensuit pas qu’il faut que le salarié paye cher les denrées qui lui sont utiles pour donner au cultivateur le moyen de renouveler ses emblaves. — Ces mots, d’ailleurs, cher et bon marché, n’ont pas un sens assez défini pour qu’on puisse rien en conclure pour ou contre la proposition. Le salarié vend cher son travail quand la demande est abondante et les ouvriers rares. Il ne s’inquiète pas alors du prix relatif des choses à son usage. Il se loue à bon marché quand le travail est rare, et cela arrive toujours quand le prix des subsistances augmente, c’est-à-dire quand elles deviennent chères. (Hte D.)