Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lême et des provinces méridionales fut inutile à Paris ? Pourquoi le commerce ne s’entremit pas pour rétablir entre deux parties du même royaume le niveau de la denrée et des prix ? Est-ce à la liberté qu’il faut s’en prendre ? et n’est-il pas évident au contraire que si le commerce des grains avait été monté, si des gênes et des règlements absurdes n’avaient pas détruit la liberté et le commerce avec elle, on ne se fut pas aperçu de cette disette qui suivit la récolte de 1740, et qui fut si cruelle dans une partie du royaume ? Les règlements et les gênes ne produisent pas un grain de plus, mais ils empêchent que le grain surabondant dans un lieu ne soit porté dans les lieux où il est plus rare. La liberté, quand elle n’augmenterait pas la masse des grains en encourageant la production, aurait au moins l’avantage de répartir le plus promptement et le plus également qu’il soit possible les grains qui existent. C’est donc le défaut de liberté et non la liberté qui produit la disette ; c’est le défaut de liberté qui a produit la disette de 1740 ; et ce n’est pas la liberté qu’il faut accuser d’avoir produit la cherté en 1768 et 1770.

Je crois, monsieur, avoir suffisamment prouvé que la liberté ne doit point enchérir les grains, et que par conséquent ce n’est point à l’augmentation du prix moyen des grains qu’on doit l’augmentation du revenu des propriétaires. À quoi faut-il donc l’attribuer ? Je vous l’ai dit, monsieur, à l’augmentation du prix moyen des vendeurs et à son rapprochement du prix moyen des consommateurs ; à l’amélioration du sort des cultivateurs par l’égalisation des prix ; à la prompte rentrée de leurs fonds ; à la valeur modérée, mais uniforme, de la denrée, sans que jamais elle puisse tomber en non-valeur, et que le cultivateur ait à gémir de l’abondance.

Ce n’est pas qu’il n’y ait un cas où le prix moyen doit augmenter par l’effet de la liberté, et ce cas doit avoir lieu dans les provinces où le défaut de communication aurait constamment entretenu les grains à un taux fort au-dessous des prix du marché général. Alors l’augmentation des revenus doit être prodigieuse, mais je montrerai, en discutant l’intérêt des consommateurs, que cette augmentation ne doit point leur être préjudiciable, et qu’elle leur sera au contraire infiniment avantageuse.

Cette lettre est devenue si excessivement longue que je suis obligé de remettre à un autre courrier la discussion de ce qui concerne