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grains comme le plus grand de tous les obstacles à la prospérité de l’agriculture, par conséquent à l’accroissement, même à la conservation de la richesse particulière et publique, et en même temps comme la cause la plus assurée d’une extrême variation dans les prix, également nuisible aux cultivateurs et aux consommateurs, qui ruine les premiers par la non-valeur, et qui réduit les autres au dernier excès de la misère par des disettes fréquentes. Je m’acquitte plus tard que je ne l’aurais voulu de cette promesse, et ce qui me fâche le plus, c’est que je ne la remplirai pas comme je l’aurais voulu.

Mon dessein était de traiter à fond cette matière, d’en poser les principes, de faire tous mes efforts pour leur donner à vos yeux l’évidence d’une démonstration mathématique, comme ils l’ont aux miens, et, j’ose le dire, à ceux de toutes les personnes qui ont spécialement dirigé leurs réflexions sur cet objet important. Je voulais discuter les effets de la liberté et ceux du régime prohibitif sur la culture, sur le revenu des propriétaires, et sur l’abondance des subsistances en tout temps ; montrer comment la liberté est le seul préservatif possible contre la disette, le seul moyen d’établir et de conserver entre les prix des différents lieux et des différents temps ce juste niveau sans cesse troublé par l’inconstance des saisons et l’inégalité des récoltes ; examiner s’il est des cas où les circonstances physiques ou morales, la position locale ou politique de certaines provinces, de certains États, rendent ce moyen moins efficace ; déterminer quels sont ces cas, quand, comment et à quel point les disettes peuvent encore exister malgré la liberté ; démontrer que, dans ces mêmes cas, ce n’est point à la liberté que l’on peut imputer ces disettes ; que bien loin que l’on doive y apporter quelques modifications, ces modifications aggraveraient le mal ; que, dans tous les cas, la liberté le diminue ; que c’est de la liberté seule, constamment maintenue, qu’on peut, avec le laps du temps, attendre la cessation des circonstances qui peuvent, dans les premiers moments, s’opposer à ce que le niveau des prix s’établisse partout avec assez de rapidité pour qu’aucun canton ne souffre jamais les maux attachés à leur excessive inégalité. Ce plan aurait naturellement renfermé la réponse à toutes les objections que des craintes vagues et des faits vus à moitié ont accréditées depuis quelque temps contre la liberté.