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C’est donc un effet de la nature invincible des choses, que la circulation des récoltes se fasse le plus ordinairement, et en général, par une suite de ; crédits réciproques entre les agents de leur distribution ; aucun d’eux ne fournissant que quelques à-compte, et n’ayant à faire de plus que l’avance de la portion des frais courants pour laquelle il ne peut obtenir lui-même de crédit.

Mais qu’est-ce qu’une vente à crédit ? C’est de la part du vendeur la livraison d’une valeur réelle qui, si elle était payée comptant, lui procurerait un capital applicable sur-le-champ à un achat de terre de laquelle il tirerait un revenu, ou à tout autre emploi profitable ; et de la part de l’acheteur, ce n’est qu’une promesse de payer cette livraison à un terme plus ou moins reculé.

M. Turgot a parfaitement démontré, et le plus simple bon sens suffit pour faire comprendre, qu’il n’y a aucune parité de valeur entre un payement effectif, actuel, et une promesse de payer dans un temps futur.

La simple promesse faite par l’acheteur au vendeur doit, par sa nature, contenir au moins l’intérêt, ou l’équivalent du profit que ce vendeur aurait pu retirer de l’argent comptant, soit en achetant de la terre, soit en l’employant autrement. — Et sans cela le vendeur serait en perte. Pour éviter cette perte, il ne voudrait vendre qu’au comptant. Il faut la lui compenser pour qu’il se détermine à vendre à crédit.

Tout billet qui constate ce crédit, tout billet à terme pour achat de marchandises, emporte donc au moins l’intérêt de la valeur qu’on lui a livrée cumulé avec le capital. Et il le devrait quand le payement serait aussi indubitable que l’est la valeur qu’il a reçue.

Mais la valeur de cette promesse, de ce billet, n’est jamais aussi indubitable que celle de la marchandise échangée ou abandonnée pour cette promesse de payement.

Celui qui a fait la promesse peut, même sans qu’il y ait aucun tort, aucune mauvaise volonté de sa part, tomber dans l’impuissance de tenir sa promesse, soit par des accidents physiques, des incendies, des inondations, des naufrages, des guerres survenantes, qui auront détruit sa fortune ; soit par le non-payement des promesses de même nature que lui auront faites les sur-acquéreurs auxquels il aura revendu, et qui seront de nouveaux intermédiaires entre lui et le consommateur, dernier et seul véritable payeur : tous les autres n’étant que des agents utiles et gagnant leur salaire.

Il faut donc encore que le billet ou la promesse de payer cumule, outre le capital et l’intérêt qu’aurait produit un placement actuel et certain, une prime d’assurance contre l’incertitude de l’acquittement définitif.

Et il est évident que cette prime d’assurance doit être plus ou moins forte, selon la nature plus ou moins périssable de la marchandise, selon les hasards plus ou moins grands des moyens de transport, selon la solvabilité, la probité, les relations plus ou moins connues de celui dont on accepte la promesse.

Mais si tout cela est incontestable pour toutes les fournitures en productions et marchandises qui sont nécessaires à la répartition de toutes les subsistances et de toutes les jouissances ; si toutes ces opérations sont licites, raisonnables, justes, protégées en tout pays par toutes les lois ; si toute vente à terme est un prêt emportant nécessairement son intérêt et sa prime d’assurance, il n’y a rien de changé, soit que le prêt se fasse en marchandise, ou