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celui qui la possède a le droit d’y mettre la valeur qui lui convient, tout comme le possesseur de bestiaux et de blé estime à son gré ses richesses. La demande de ces choses rectifiera bientôt ce qu’a d’exagéré l’estimation des possesseurs. La valeur en échange est le contrôle certain de la valeur en usage.

Régler l’intérêt de l’argent, prétendre établir un taux légal est au-dessus des moyens du législateur. — L’intérêt de l’argent varie non-seulement avec son abondance, mais surtout avec la sécurité du placement. Supposons que l’esprit humain n’ait point trouvé les assurances, croit-on qu’un capital ait pu être prêté à l’armateur au même taux qu’au fermier, au brasseur, au boulanger ? Le risque ne doit-il pas être pris en considération ?

Et cependant, dans l’état actuel des choses, le législateur a peut-être droit d’hésiter à livrer à la cupidité des possesseurs d’argent la simplicité ou même l’avidité irréfléchie de certains emprunteurs. — Mais on le conçoit, l’application d’une loi sur l’usure est fort difficile, et Turgot a raison de rappeler à cet égard l’opinion de Montesquieu, qui dit que les lois inapplicables ont surtout pour résultat de faire des malhonnêtes gens. Les lois de douanes ont créé les contrebandiers.

La réforme qui paraît la plus facile serait encore un retour vers les principes de la liberté. — L’action du créancier sur le débiteur va aujourd’hui au delà de la nécessité. La contrainte par corps n’est plus dans nos mœurs. — Cette contrainte est l’arme la plus forte qu’ait pu mettre la société entre les mains de l’usurier, et il est assez étrange de voir la société d’une part combattre l’usure par des lois inutiles, et de l’autre laisser entre les mains de l’usurier la force la plus redoutable dont la société puisse disposer. Les faits prouvent jusqu’à l’évidence que les usuriers seuls, ou presque seuls, se servent de ce moyen de recouvrement. Le commerce respectable y a depuis longtemps renoncé ; il ne s’en sert que pour certains cas où il croit avoir à se venger de la fraude ; le prêteur à usure seul a recours à la contrainte par corps, et l’écrou des prisons pour dettes prouverait au besoin cette assertion.

Au reste, quelle que soit la loi morale que le législateur croie devoir adopter pour empêcher le vol et l’abus, il n’en est pas moins démontré dans le Mémoire de Turgot que l’usure, si elle ost blâmable, est bien souvent mal définie, et que, laissée à elle-même,