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MÉMOIRE
SUR
LES PRÊTS D’ARGENT.



OBSERVATIONS DE L’ÉDITEUR.

Turgot fut toute sa vie le défenseur de la liberté des transactions. Après avoir lu son discours sur les valeurs, sa lettre à l’abbé de Cicé, et surtout ses réflexions sur la formation des richesses, personne ne peut être surpris de l’opinion qu’il émet sur les prêts d’argent. Cette opinion est celle des hommes les plus éclairés, et leur unanimité, les pages si convaincantes de J. B. Say à ce sujet, l’honnêteté, la probité pratique de tous ces défenseurs de la liberté du commerce de l’argent, sont des arguments puissants en sa faveur.

Lorsqu’on ignorait comment se forment les richesses, lorsqu’on pensait que l’or et l’argent sont les seuls véritables biens, on pouvait croire que les prêts d’argent devaient se faire sans intérêt. — Il n’y avait pour ainsi dire que déplacement de richesse ; on ne songeait nullement à l’accroissement. L’intérêt devant être payé en argent, on croyait, en l’exigeant, diminuer d’autant la richesse de l’emprunteur ; l’un ne pouvant gagner sans que l’autre perdît, il était naturel que le prêt d’argent fût gratuit. Prêter de l’argent, c’était pour ainsi dire prêter une force qui ne s’usait pas ; on croyait n’avoir rien à réclamer pour un semblable service.

La science a fait justice de ces fausses idées, et Turgot a rendu service à l’industrie en donnant à la théorie du prêt à intérêt toute l’autorité de son nom.

Pour Turgot donc, le mot d’usure n’a rien de choquant. Si des hommes ont abusé des besoins d’autres hommes pour réaliser des bénéfices exorbitants sur des prêts d’argent, le même fait a eu mille fois lieu dans d’autres transactions. On se demande comment la loi peut poursuivre l’usure dans les prêts d’argent, et s’interdire de poursuivre le fait analogue dans des prêts de blé, de bestiaux, etc.

Aujourd’hui, chacun reconnaît que l’argent est une marchandise ;